La chambre à coucher de Kadhafi, le jet privé de Kadhafi, les statues dorées de Kadhafi. L'intrusion des rebelles dans l'intimité des résidences du colonel et de sa famille dévoile davantage qu'un étalage de biens luxueux et vulgaires. C'est aussi le symbole par excellence, dans l'histoire des révolutions, de la chute d'un souverain. Réflexions.

Des rebelles qui entrent dans la maison du dictateur et mettent à sac son palais. La scène est un classique des révolutions: les Français ont pillé les Tuileries en 1792, les Roumains se sont emparés du palais de Ceausescu en 1989, les ex-Zaïrois ont dévalisé la «maison d'été» de Mobutu en 1997, les Irakiens ont saccagé les résidences de Saddam Hussein en 2003... Et depuis la semaine dernière, les Libyens se disputent les trésors de Kadhafi.

Armés de mitraillettes, sales, mal rasés, les rebelles ont investi les riches demeures de la famille Kadhafi, arrachant les tentures, s'emparant des dorures, brûlant les tas de portraits du leader qui ornaient les murs.

Bien sûr, il y a l'étalage de tous ces biens «bling-bling» qui témoignent de l'opulence dans laquelle vivait la famille régnante. Mais ce qu'en font les rebelles rend le personnage Kadhafi totalement grotesque. Comme ce rebelle coiffé de la casquette militaire du colonel et d'une chaîne en or qui fait le pitre devant les caméras. Ou ses compagnons paradant en riant dans la voiturette de golf de la résidence. Ou les photographies de combattants hilares se vautrant joyeusement dans les draps de soie du lit du colonel.

Car, observe Hannah Callaway, candidate au doctorat en histoire de l'Université Harvard, il faut voir dans ces images «quelque chose de plus complexe qu'un simple dépouillement de biens luxueux».

Le palais, siège du souverain, qu'il ait régné dans l'Antiquité ou la semaine passée, «retient toujours une puissance symbolique», écrit-elle, dans un échange de courriels avec La Presse. «Même dans les démocraties, la résidence du président est synonyme de son pouvoir; pensez aux images dramatiques de la destruction du palais du président haïtien par le séisme, prise comme symbole d'une nation brisée par le désastre.»

La mise à sac d'un palais pendant une révolution «dramatise la reprise de souveraineté par le peuple». «En détruisant l'endroit physique où réside le roi, le peuple met en scène la destruction de son pouvoir symbolique.» Si le chef ne contrôle même plus l'accès à sa chambre à coucher, il est fort à parier qu'il ne contrôle rien du tout...

Le luxe dont jouissaient les Kadhafi n'a surpris personne. «Toutefois, observe Mme Callaway, impossible de nier la satisfaction que l'on ressent en voyant le dépouillement du palais d'un dictateur: le peuple, nouvellement souverain, prend comme premier acte l'administration de justice.» Et le souverain, dépouillé des artifices qui lui donnaient de la prestance, perd de sa superbe. Il ne fait désormais plus peur à personne.