Le parti islamiste tunisien Ennahdha a été légalisé au début du mois de mars. Réprimé pendant plus de 20 ans alors que la Tunisie était contrôlée par le président Ben Ali, le parti fait encore peur à certains, mais semble avoir retrouvé sa base sociale. Il part favori pour les élections de l'Assemblée constituante le 23 octobre, explique notre collaborateur.

Samir Dilou, membre du bureau politique du parti Ennahdha, nous reçoit dans la salle d'attente de son bureau d'avocat, dans une banlieue tranquille de Tunis. Une jeune femme assiste à l'entretien. Juchée sur ses talons, la chevelure tombant sur les épaules et les yeux cernés de khôl, elle ne porte pas le hijab, le voile islamique.

«Vous êtes peut-être surpris que ma collègue ne soit pas voilée, figurez-vous que ma femme ne l'est pas non plus!», sourit Samir Dilou.

«Un parti n'a pas à donner des directives sur la tenue vestimentaire de ses adhérents», ajoute l'avocat, qui définit Ennahdha comme un «parti civil avec un arrière-plan islamique».

«Nous pensons que l'islam peut aider à moraliser la vie politique et sommes attachés à l'identité arabo-musulmane des Tunisiens, mais nous n'allons pas présenter le suffixe ou préfixe islamique comme solution miracle à chaque problème. Le régime de Ben Ali nous a diabolisés en nous présentant comme des intégristes», soutient Samir Dilou, emprisonné entre 1991 et 2001.

La référence à l'islam se veut discrète. Dans le journal d'Ennahdha, Al Fajr, dont la publication a été autorisée après 20 ans d'interdiction, il n'existe pas de page réservée à la religion. «Clarifier le rôle de la religion fait partie de notre travail, mais nous n'avons pas à émettre des fatwas», explique le journaliste Sadak Sghairé.

La formule utilisée pour le premier numéro «Une vision optimiste du futur» a toutefois été remplacée par «Au nom de Dieu le miséricordieux», et la charte graphique modifiée pour mieux coller à l'image d'un journal islamique.

Un parti qui fait peur

Ennahdha sait qu'il fait encore peur à une frange importante des Tunisiens. Plusieurs femmes que nous avons rencontrées dénoncent «le double discours» du parti, craignent un «retour en arrière» en cas de victoire du parti islamiste.

Elles redoutent d'être cantonnées au rôle de «femmes au foyer». L'attaque de maisons closes ou de commerces d'alcool par des militants présumés d'Ennahdha en province en a inquiété plus d'un, même si le parti a condamné ces actes.

Le parti islamiste tente de rassurer les Tunisiens par tous les moyens. Il a par exemple approuvé la règle de parité hommes/femmes pour les futures élections. Et il entend conserver, voire «accroître» les acquis de la femme tunisienne, inclus dans le Code du statut personnel, un des plus libéraux du monde arabe. «Débattre de la polygamie relève d'un autre âge, explique ainsi Samir Dilou, elle est interdite depuis 1957 et il n'est pas question de revenir en arrière.»

Évoquant la question de la séparation du politique et du religieux, l'avocat considère que le débat est «importé par l'Occident», qu'il n'est pas question d'instaurer une «théocratie» en Tunisie.

Le modèle turc

«Le parti a abandonné depuis longtemps la référence aux Frères musulmans égyptiens ou à la République islamique iranienne», explique le professeur d'islamologie Sami Brahem. Le modèle souvent cité par les membres d'Ennahdha est celui de l'AKP, au pouvoir en Turquie.

«Nous sommes pour la non-interférence des partis politiques dans la gestion des mosquées», précise Samir Dilou. «Le parti doit encore prouver qu'il faut dissocier la politique des prêches», note cependant Sami Brahem.

Aux prochaines élections, Ennahdha se dit prêt à s'allier avec des partis séculiers. Selon un sondage réalisé au début du mois de juin, il est crédité de 16,9% des voix, loin devant les autres formations politiques. La multiplication des nouveaux partis (près de 100) favorise pour l'instant le parti islamiste.