Quatre mois après le début de la contestation au Yémen, les affrontements entre les forces du président Ali Abdallah Saleh et les combattants tribaux ont fait plusieurs dizaines de morts. Hier, les hommes du président ont ouvert le feu sur les manifestants de la place du Changement. Ali Abdallah Saleh s'est dit prêt à quitter le pouvoir, comme le demandent les monarchies du Golfe, l'Union européenne et, avec un empressement certain, les États-Unis. Un scénario peu probable, croient les observateurs: le président, accusé de corruption et de népotisme, aurait promis de quitter le pays comme il l'a gouverné pendant 33 ans, dans la violence.

Q Quelles sont les forces en présence?

RLa protestation yéménite, née pendant le printemps arabe, s'est transformée en lutte armée entre le pouvoir du président Saleh, à la tête du pays depuis 33 ans, et les chefs de tribus. Plusieurs anciens alliés militaires et politiques du régime se sont joints à l'opposition, comme le général Ali Mohsen ou la puissante famille al-Ahmar. Les séparatistes du sud du pays et les islamistes armés entrent eux aussi en action. Les manifestants de la première heure restent, pour les plus irréductibles d'entre eux, sur la place du Changement. «Nous avons les prémices d'une guerre civile», croit Miloud Chennoufi, professeur au Collège des Forces canadiennes, à Toronto.

Q La menace d'une guerre civile est-elle réelle?

RLe Yémen, pays le plus pauvre et le plus peuplé de la région du Golfe, a connu sa dernière guerre civile en 1994. «Il n'est pas inconcevable que ça recommence, et ce serait dangereux pour la région», dit Bessma Momani, professeure à l'Université de Waterloo et chercheuse au Centre for International Governance Innovation (CIGI). Selon Al-Jazira, des tireurs d'élite ont commencé à viser les manifestants hier, à Sanaa. Les leaders tribaux et les forces du président appellent à des manifestations aujourd'hui.

Q Le président Saleh a-t-il l'intention de quitter le pouvoir?

ROfficiellement, Ali Abdallah Saleh a affirmé hier qu'il était prêt à accepter l'offre de médiation des pays du Golfe. À une nouvelle condition: qu'il y ait une signature publique au cours d'une cérémonie à laquelle doit assister l'opposition, qui s'y refuse. Officieusement, le président de 69 ans n'a aucune intention de reculer, soutiennent certaines sources proches du gouvernement. «Je laisserai le pays dans l'état où je l'ai trouvé», a-t-il répété, selon les sources citées par l'agence de presse Reuters. Le risque d'enlisement est réel. «Le président est le seul responsable de cette situation de pourrissement», estime M. Chennoufi. L'offre de médiation des pays du Golfe prévoit la formation d'un gouvernement de réconciliation, la démission du président, l'organisation de nouvelles élections ainsi que l'immunité pour Saleh et sa famille. Il ne partira pas sans un maximum de garanties, croit Mme Momani. «Oui, il a du sang sur les mains, mais il ne partira pas sans ça. C'est la seule façon pour qu'il parte. Sinon, le conflit va continuer.»

Q Que réserve l'avenir?

RParmi les scénarios possibles, il y a l'enlisement, le renforcement du mouvement séparatiste dans le sud du pays. Mais le départ du président ne suffirait pas à assurer la démocratisation du pays. «C'est un non-dit, mais les pays du Golfe sont des États très conservateurs, qui craignent la contagion. Ils ne souhaitent pas la démocratie. Le défi va être de réorganiser le pouvoir au Yémen», dit M. Chennoufi. En Libye, les manifestations ont tourné en guerre civile tandis qu'en Syrie, la répression ne suscite aucune intervention occidentale, poursuit cet expert du Proche-Orient: «Il y a deux poids, deux mesures.» Le départ du président reste la condition sine qua non pour un apaisement, selon Mme Momani.