Une bataille au couteau dans une cabine téléphonique. L'image est du lieutenant-général québécois Charles Bouchard, commandant des forces de l'OTAN en Libye. Elle illustre les combats auxquels se livrent depuis des semaines les insurgés et les milices pro-Kadhafi, rue par rue, au coeur même de la ville portuaire de Misrata.

Difficile, pour l'OTAN, de se placer entre les deux pour mettre fin au carnage.

Le régime libyen «a choisi d'utiliser les toits des hôpitaux et des mosquées, de garer ses chars d'assaut à côté des écoles» a expliqué lieutenant-général Bouchard à la BBC. Ceux qui critiquent l'OTAN pour son apparent immobilisme devraient «se rappeler tous ces facteurs».

Les limites des frappes

La bataille de Misrata pourrait bien devenir un tournant dans le conflit libyen. Elle expose en tout cas les limites des frappes aériennes de l'OTAN. Malgré les appels des insurgés en faveur d'une intervention plus musclée, les forces alliées refusent de larguer leurs bombes en ville, craignant de provoquer un bain de sang.

Quand les Occidentaux ont commencé à pilonner la Libye, il y a un mois, plusieurs croyaient que le régime de Mouammar Kadhafi s'écroulerait comme un château de cartes, en quelques jours. Ça ne s'est pas passé comme ça.

Le dictateur s'est plutôt adapté au champ de bataille urbain. «Il a retiré son artillerie repérable du haut des airs et s'est lancé dans une technique de guérilla, avec des mercenaires et de petites attaques à la roquette», explique Julien Saada, directeur adjoint de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.

«Le premier objectif de la mission de l'OTAN était d'empêcher un massacre à Benghazi, et il a été rapidement atteint, rappelle-t-il. Kadhafi étant toujours en place, la question est maintenant de savoir si ce massacre aura lieu à Misrata.»

L'escalade militaire

Le conflit s'enlise, les civils continuent de mourir et la pression s'accentue sur les forces occidentales. Cette semaine, Washington a promis de fournir aux insurgés de l'équipement militaire «non meurtrier», tandis ce que Londres, Paris et Rome ont annoncé l'envoi de «conseillers militaires» auprès des rebelles inexpérimentés de Benghazi. «On peut se demander si ça n'annonce pas une escalade», dit M. Saada.

On peut aussi se demander si l'objectif de la mission de l'OTAN n'est pas en train de changer, passant de la stricte protection des civils à un soutien toujours plus considérable aux insurgés.

Déjà, la semaine dernière, Barack Obama, Nicolas Sarkozy et David Cameron affirmaient dans une lettre commune qu'il était «impossible d'imaginer que la Libye ait un avenir avec Kadhafi». Un mois plus tôt, les trois leaders avaient pourtant assuré qu'un changement de régime n'était pas dans leur mire.

Les Britanniques, en tout cas, craignent de plus en plus de voir leur pays s'enliser dans un «nouveau Vietnam». Dans un récent éditorial, The Guardian rejette les prétentions des leaders européens, qui assurent que les conseillers militaires envoyés en Libye sont loin de constituer des troupes au sol.

«La Grande-Bretagne est en train de faire au grand jour ce qu'elle avait expressément dit qu'elle ne ferait pas: mettre le pied sur le sol libyen, estime le quotidien de Londres. Il est bon de rappeler que la résolution 1973 de l'ONU n'autorise pas les États à apporter leur soutien aux rebelles, à défendre les groupes armés ou à chasser Kadhafi. Pas plus qu'elle n'autorise une invasion au sol comme en Irak. Mais en réalité, c'est largement ce qui est en train de se produire. Ne nous y trompons pas: l'engrenage est enclenché.»

Une nouvelle Bosnie

Mais quelle est la solution de rechange? Sans une intervention militaire plus musclée, la Libye risque aussi de devenir une nouvelle Bosnie, souligne M. Saada. «Il y a une pression internationale pour ne pas lâcher les insurgés.»

À Misrata, le régime de Kadhafi a largué des bombes à sous-munitions, interdites par la plupart des pays du monde parce qu'elles sont dévastatrices pour les populations civiles. Les attaques ont fait des centaines de morts. Les cliniques médicales, les écoles, les mosquées et le port ont été touchés. Les 300 000 habitants de la ville assiégée vivent avec la peur au ventre.

«Nous ne voulons pas paraître ingrats, mais l'OTAN doit vraiment finir le travail, autrement Kadhafi n'aura pas de pitié, disait récemment à la BBC Mohamed Ali, membre du conseil des rebelles de Misrata. C'est vraiment une question de vie ou de mort. Les gens ont tant à craindre. Le massacre qui a été évité à Benghazi pourrait facilement arriver ici.»

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LA BATAILLE DE MISRATA

De féroces combats se poursuivent à Misrata, troisième ville en importance de la Libye. L'OTAN admet avoir du mal à repousser les attaques à la roquette et au mortier des milices pro-Kadhafi. Aux mains des insurgés, la ville portuaire est assiégée par les forces gouvernementales depuis près de sept semaines.

La rue Tripoli: Champ de bataille principal entre les insurgés et les forces pro-Kadhafi. Grands immeubles utilisés par les tireurs d'élite de Kadhafi pour cibler les résidants.

Rue Naklal Thaqeel: Les forces de Kadhafi attaquent pour tenter de couper l'accès du port aux rebelles.

Pots de Misrata: Seul point d'entrée pour les provisions et issue de secours pour les réfugiés.