Quand Bachar al-Assad est arrivé en politique en juillet 2000, les espoirs d'ouverture du pays étaient grands. Un court «printemps de Damas» en 2001 a même permis à une certaine liberté de parole de prendre son envol. Mais la seule liberté que le jeune président a finalement livrée est celle de l'économie. Si bien qu'en 2003, après avoir repris les arrestations d'intellectuels et d'opposants au régime, il a fini de balayer les dernières illusions de ses concitoyens: il avait été «mal compris». À la lumière des «réformes» qu'il a promises cette semaine, les observateurs s'interrogent: où s'en va Bachar al-Assad?

Bachar al-Assad n'était pas destiné à devenir président. Au début des années 1990, son frère aîné, Basil, prend du galon dans l'armée en vue de succéder à son père, le président Hafez al-Assad. Bachar, lui, s'installe à Londres pour étudier... l'ophtalmologie. «Parce que c'est très précis, parce qu'il n'y a presque jamais d'intervention d'urgence, et qu'il y a très peu de sang», expliquait fin février au magazine Vogue, celui qu'on surnomme «Docteur».

Une personnalité assez différente de celle de son frère qui, lui, s'annonçait comme un futur président à la poigne de fer, exactement comme son père. Mais lorsque Basil meurt dans un accident d'auto en 1994, son frère cadet est rappelé à Damas. Bachar al-Assad troque le sarrau pour l'uniforme militaire et fait ses classes dans l'armée.

En juin 2000, à la mort de son père, il est le seul candidat aux présidentielles du seul parti autorisé à diriger le pays - le parti Baas. Il est «élu» avec 97% d'appuis. Il n'a que 34 ans, et son arrivée laisse penser que la Syrie est mûre pour un changement.

Court printemps

Bachar al-Assad promet dès lors de s'attaquer à la corruption et de permettre de plus grandes libertés individuelles, dans ce pays soumis à l'état d'urgence depuis 1963. De fait, quelque 700 prisonniers sont relâchés.

Mais le «printemps de Damas», en 2001, s'étiole rapidement. Les arrestations d'intellectuels reprennent, la lune de miel est terminée. En 2003, la Syrie s'oppose férocement à l'intervention militaire en Irak, prédisant le chaos entre les différentes communautés ethniques.

D'ailleurs, aujourd'hui, il brandit la même menace concernant l'instabilité dans son pays. Et ses voisins, dont Israël, partagent son avis. Bachar al-Assad, écrivait récemment le commentateur Salman Masalha dans le quotidien Haaretz, «est le dictateur favori des Juifs et Arabes en Israël».

Populaire au Moyen-Orient, Al-Assad s'est aussi appliqué à l'être chez lui. La réforme économique imposée dans la dernière décennie a fait naître une nouvelle élite musulmane sunnite qui a grossi les rangs des privilégiés du régime. Ils s'ajoutent aux alaouites (la secte chiite à laquelle appartient la famille al-Assad), aux membres du parti Baas, aux militaires, aux agents des services de renseignements, sans oublier les minorités chrétiennes et kurdes, qui craignent que des fondamentalistes musulmans ne s'emparent du pouvoir.

Autant de gens qui n'ont pas avantage, aujourd'hui, à voir s'écrouler le système. Mais ces privilégiés restent en minorité. «Cette apparente popularité pourrait l'avoir mené, avec ses conseillers, à ignorer le fait que même en Syrie, plusieurs personnes étaient en colère contre le régime répressif, la mauvaise gouvernance et la corruption», écrivait cette semaine dans le New York Times Volker Perthes, auteur d'un essai sur les ambitions de modernisation du président syrien.

La barrière de la peur

Bachar al-Assad, dit M. Perthes, n'est pas un réformateur. Un «modernisateur», tout au plus. Ses nouvelles «réformes cosmétiques» élargiront légèrement le rang des privilégiés. Mais pour plusieurs opposants, ce sera «trop peu, trop tard». «Assad a pu trouver que, s'il était relativement facile de faire affaire avec des intellectuels et des artistes, il est beaucoup plus difficile de freiner une génération entière.»

Reste la peur. Amnistie internationale estime que la Syrie compte aujourd'hui dans ses murs entre 3000 et 4000 prisonniers politiques. «On parle d'un pays où les disparus se comptent par milliers», rappelle Miloud Chennoufi, observateur du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord au Collège des Forces canadiennes, à Toronto. «Un pays où les familles des détenus ignorent où ils se trouvent. On parle d'un des pays les plus corrompus du monde, où la torture est redoutable. Notre concitoyen Maher Arar peut en témoigner, et je peux vous garantir que ce qu'il a vécu n'est rien comparé à ce que d'autres ont subi sous la torture. La barrière de la peur est extrêmement élevée.»

Asma, l'argument moderne

Paris Match la présente en simple « amoureuse en escapade «, et Vogue la surnomme la « rose du désert «. Asma al-Assad, 35 ans, éblouit les foules et charme les magazines de mode avec une classe irréprochable. Née et élevée en Grande-Bretagne, cette fille d'un cardiologue et d'une diplomate musulmans sunnites et syriens d'origine veut présenter aux yeux du monde une image moderne et laïque de la Syrie. Diplômée universitaire en informatique, elle a travaillé dans le monde de la finance avant de devoir tout laisser tomber pour son mariage. Elle se consacre depuis à ses trois enfants et aux oeuvres caritatives en éducation, en culture et en santé. Elle ne manque pas une occasion de souligner qu'elle n'est pas une première dame d'apparat et que les femmes arabes ne sont pas toutes dans l'ombre. « En Europe et aux États-Unis, très peu de femmes ont atteint la magistrature suprême, disait-elle à Paris Match. En Syrie, la vice-présidente est une femme. Nous sommes les seuls dans le monde arabe à avoir une femme à une fonction aussi élevée. Notre Parlement est composé de 13 % de femmes. Aujourd'hui, il n'y a rien que les femmes ne peuvent faire. «

Photo archives AFP

La première dame de Syrie, Asma al-Assad.