Le vent souffle des nuages de sable sur la route qui mène de la frontière égyptienne vers la ville libyenne de Tobrouk, en longeant la Méditerranée.

Devant nous, un paysage désertique et immobile. La route est étrangement vide et nous conduit vers une ville silencieuse, où la guerre qui déchire la Libye paraît lointaine et irréelle.

Mais pour les nombreux rescapés qui ont trouvé refuge à Tobrouk, cette cité portuaire située à 250 kilomètres de la frontière, la guerre est une réalité on ne peut plus concrète.

Parmi eux, Sami et Goma Al-Gtani, deux cousins de 27 et 23 ans qui se sont échappés hier de la ville d'Ajdabiya, où les insurgés affrontent depuis plusieurs jours les troupes loyales au colonel Kadhafi.

La ville a été brièvement contrôlée par les forces rebelles. Mais pour les troupes du régime, Ajdabiya constituait le dernier obstacle avant Benghazi, la «capitale» de la révolte libyenne. Depuis jeudi dernier, l'armée fait pleuvoir des tirs d'artillerie sur des mosquées remplies de fidèles, des tireurs embusqués sur les toits terrorisent les habitants, et des chars d'assaut ont été déployés dans des cours d'école, pour que les avions alliés n'osent pas les bombarder, racontent les deux cousins. Un des trois grands quartiers de la ville a été carrément rasé. Et les habitants d'Ajdabiya vivent dans la peur. «Les snipers bloquent les rues pour attirer les habitants dans des embuscades et les enlever», dit Sami Al-Gtani, l'aîné des deux jeunes hommes.

La situation humanitaire se dégrade à Ajdabiya. La nourriture est rare, la centrale électrique a été touchée, et l'hôpital fonctionne avec une poignée de médecins. «La situation y est misérable», selon Sami. Effrayés, les habitants craignent même de boire l'eau de la ville, qui a selon eux un goût étrange depuis quelques jours... Justifiée ou pas, la peur est omniprésente.

Les partisans de Kadhafi ont aussi créé des «cellules cachées» au sein des insurgés, affaiblissant les troupes des opposants du régime.

Aujourd'hui, les pro-Kadhafi contrôlent deux des trois entrées de la ville. Mais selon les deux jeunes hommes, l'un de ces points de contrôle est encerclé par les insurgés, qui ont coupé la ligne d'approvisionnement de l'armée. Et lundi, les avions alliés ont bombardé un important camp militaire près de la ville. La bataille d'Ajdabiya est loin d'être terminée.

Catastrophe humanitaire

La vaste majorité des habitants de la ville (90%, selon Sami) ont fui. Mais plusieurs n'ont nulle part où aller. Ils ont monté des tentes dans le désert et survivent difficilement, privés de tout et oubliés du monde.

Sur la route entre Ajdabiya et Tobrouk, qui passe au sud de Benghazi, les deux cousins ont croisé ces camps où s'entassent des milliers de rescapés. Ils viennent d'Ajdabiya mais aussi d'autres villes qui ont été reconquises par Kadhafi après être brièvement tombées sous le contrôle des rebelles, telles Ras Lanouf et Brega.

« Ces gens vivent une véritable catastrophe», s'indigne Sami Al-Gtani, qui a été renversé de croiser ces survivants qui n'ont plus de carburant, pas de nourriture, et qui ne reçoivent presque aucune aide.

Combien de gens ont péri à Ajdabiya? Impossible de le savoir. Mais quand un quartier entier est réduit à néant, il y a sûrement des victimes. Et selon Sami, «il n'y a plus de place au cimetière pour enterrer les morts.»

Plusieurs dizaines des rescapés d'Ajdabiya ont abouti à Tobrouk. Il y a quelques jours, la ville a lancé un appel aux habitants pour loger ces gens. Pas moins de 300 familles ont offert de les accueillir... Hier, une des grandes tentes qui devait abriter les rescapés était vide: tout le monde avait trouvé un toit où passer la nuit.

Alors que le sort de leur ville est en train de se jouer, qu'attendent Sami et Goma de la coalition, qui pilonne les bases militaires de Kadhafi depuis cinq jours? Pour Sami, ce n'est pas assez.

«Quand les avions attaquent l'armée de Kadhafi, les soldats vont se cacher. Nous avons besoins d'armes pour aller à leur poursuite.»