Critiquée pour ses atermoiements face aux révoltes en Tunisie et en Egypte, la France est devenue jeudi le premier pays à reconnaître l'organe de l'opposition au régime de Mouammar Kadhafi et souhaite des «frappes aériennes ciblées» contre la Libye.

Lors d'un entretien de près d'une heure au palais présidentiel de l'Élysée, Nicolas Sarkozy a annoncé à trois émissaires de l'opposition sa décision de reconnaître leur Conseil national de transition (CNT) comme «représentant légitime du peuple libyen» et d'envoyer un ambassadeur à Benghazi, le siège de la contestation au colonel Kadhafi, à un millier de kilomètres à l'est de Tripoli.

Rendue publique à la veille d'un sommet exceptionnel, à Bruxelles, des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne, l'initiative française a été annoncée par les émissaires du CNT et aussitôt confirmée par l'Élysée.

Selon une source proche du dossier, le président a également fait savoir à ses interlocuteurs libyens qu'il proposerait vendredi à l'UE de mener des «frappes aériennes ciblées» sur des objectifs stratégiques libyens afin de mettre un terme aux représailles meurtrières exercées par les troupes du colonel Kadhafi contre les populations civiles.

Parmi ces objectifs figurent l'aéroport militaire de Syrte, à 500 km à l'est de Tripoli, celui de Sebha, au sud du pays près de la frontière tchadienne, et le camp de Bab al-Azizia, résidence du colonel Kadhafi et centre névralgique du régime à Tripoli, selon la même source.

Interrogée par l'AFP, une source à l'Élysée n'a pas confirmé ces informations. «On n'en est pas là», a-t-elle assuré, «on va déjà demander les autorisations juridiques pour empêcher l'usage de la force par Kadhafi».

La proposition française vise à contourner l'opposition manifestée, au Conseil de sécurité de l'ONU, par la Russie et la Chine à une proposition de Paris et de Londres visant à instaurer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye.

Cette mesure fait partie d'un «plan global» que le chef de l'État français doit présenter vendredi à ses partenaires européens.

Selon son entourage, M. Sarkozy devrait notamment y évoquer le renforcement de l'action humanitaire déjà engagée avec l'ONU en Libye, poser la question d'un embargo sur le pétrole et aborder le «danger migratoire» causé par l'insurrection libyenne.

Ces annonces françaises interviennent alors que les monarchies arabes du Golfe ont estimé jeudi soir que le régime de Mouammar Kadhafi était désormais «illégitime» et que des contacts devraient être établis avec les insurgés, à l'issue d'une réunion de leurs chefs de la diplomatie.

En choisissant clairement le camp des rebelles à la veille du sommet de Bruxelles, Nicolas Sarkozy, qui a réclamé le départ du colonel Kadhafi, souhaite entraîner les autres pays européens, jusque-là divisés.

«La France joue le rôle de brise-glace dans l'Union européenne», s'est félicité un porte-parole de l'insurrection.

À Berlin, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères Werner Hoyer s'est toutefois montré sceptique, jugeant la situation «encore trop confuse». Le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi a, lui, jugé «préférable d'attendre la position de l'ensemble de l'UE» avant de se prononcer.

Mercredi, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton avait refusé de soutenir la demande du CNT d'être reconnu comme seule autorité légitime en Libye, pourtant appuyée par le Parlement européen.

La position très ferme de la France sur la Libye intervient après les sévères critiques qui ont visé sa retenue excessive face aux soulèvements qui ont emporté les régimes «amis» de Tunisie et d'Egypte.

La riposte du colonel Kadhafi, que M. Sarkozy avait reçu en grande pompe fin 2007 à Paris, ne s'est pas fait attendre: Tripoli a menacé Paris de rompre les relations diplomatiques.