Jusqu'ici, le colonel Kadhafi n'a montré aucune intention de céder du terrain aux rebelles. Il a même envoyé son armée bombarder l'est du pays. Pendant ce temps, les Occidentaux se concertent pour tenter d'aider l'opposition. La situation est délicate, explosive, estime Bernard Haykel, observateur aguerri de la scène proche-orientale à l'Université Princeton, à qui nous avons parlé hier.

Q. Certaines sources ont laissé entendre en début de semaine que l'opposition libyenne négocie avec Mouammar Kadhafi pour obtenir sa reddition. Qu'en est-il?

R. Hier, tant les insurgés que le régime au pouvoir ont vivement nié qu'il y ait eu quelque négociation que ce soit. La télévision officielle libyenne a jugé «impensable» que M. Kadhafi «puisse prendre contact avec des agents ayant fait appel aux étrangers contre leur propre pays» (des opposants ont demandé à la communauté internationale de lancer des raids aériens contre le régime, selon l'AFP). Des discussions ont néanmoins eu lieu entre des avocats de Tripoli, qui se sont proposés comme intermédiaires, et le Conseil national, instauré par les insurgés à Benghazi pour préparer la transition. «Nous sommes évidemment d'accord pour mettre fin au bain de sang, a déclaré son président, l'ex-ministre de la Justice Moustapha Abdeljalil. Mais Kadhafi doit d'abord démissionner, puis il doit partir, et nous n'engagerons pas de poursuites pénales contre lui.»

Q. Où en sont les discussions pour instaurer une zone d'exclusion aérienne?

R. Toute décision d'imposer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye devra être prise par l'ONU et non par les États-Unis, a déclaré hier la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton. «Il est très important que ce ne soit pas une initiative menée par les États-Unis, parce que cela vient des Libyens eux-mêmes», a dit Mme Clinton. La Chine et la Russie, notamment, sont réticentes à autoriser une telle intervention. Demain et vendredi, l'OTAN discutera à Bruxelles de mesures pour tenter d'aider l'opposition sans enfreindre le droit international ni déstabiliser la région, selon l'AFP.

Q Qu'attendent les Occidentaux pour intervenir?

R Selon les partisans de cette intervention, la zone d'exclusion aérienne ne serait appliquée «que si la situation des civils était suffisamment grave». Ce qui fait sourciller Bernard Haykel, observateur de la scène politique du Proche-Orient à l'université américaine de Princeton: «Les États-Unis et l'OTAN doivent être très prudents. Rien ne dit que, en apportant une aide militaire, on aidera le «bon» côté. Il n'y a pas seulement des gens qui veulent la liberté et la démocratie. Il y a aussi des gens d'une région qui veulent mater ceux d'une autre région. Il y a des rivalités régionales et tribales très complexes. Je ne crois pas que les États-Unis soient en mesure de bien comprendre ces rivalités. S'ils s'en mêlent, ça peut devenir un vrai cauchemar.» D'autres instances sont mieux placées pour intervenir et aider les civils libyens, dit-il. «L'Union africaine est disponible, la Ligue arabe et d'autres armées arabes aussi. Je ne vois pas pourquoi les États-Unis ou l'OTAN devraient s'y investir. S'ils veulent rétablir l'approvisionnement de 1,5 million de barils de pétrole, je comprendrais. Mais pour des raisons humanitaires, je ne vois pas l'intérêt des États-Unis parce que ça peut compliquer les choses plus que les résoudre.»

Q. Après les soulèvements en Libye et en Égypte, que nous enseigne l'insurrection libyenne?

R. La Tunisie et l'Égypte nous ont montré que se débarrasser d'un chef d'État est assez facile, note Bernard Haykel. Deux ou trois semaines de manifestations, avec l'aide de Facebook, de l'internet et de la télé, et c'est possible. La Libye montre que ça peut coûter très, très cher au peuple. Il peut y avoir des milliers de morts. Une leçon notamment pour les Syriens et les Algériens, même si, admet M. Haykel, «un peu d'humilité est de rigueur pour prévoir la suite des choses en Libye». «Mais je crois que les peuples arabes regardent ce qui se passe en Libye et se disent que le coût est peut-être trop élevé. L'Égypte et la Tunisie représenteront peut-être l'exception plutôt que la règle.»