L'opposition libyenne, maître de vastes régions du pays, organisait mardi la lutte armée pour tenter de chasser Mouammar Kadhafi du pouvoir, au moment où les Occidentaux envisageaient différents scénarios, après deux semaines d'insurrection sanglante.

Entre-temps, l'ONU a lancé un «appel urgent» à la communauté internationale en vue d'une évacuation humanitaire massive de dizaines de milliers de personnes qui tentent de fuir la Libye et attendent actuellement du côté libyen de la frontière avec la Tunisie de pouvoir entrer dans ce pays.

M. Kadhafi, qui a gouverné ce pays pétrolier d'une main de fer pendant plus de 40 ans, et ses forces ne contrôlent plus que la capitale Tripoli et sa région. Mais selon des témoins, des militaires pro-régime ont renforcé le poste-frontière de Wasen, avec la Tunisie, déserté ces derniers jours.

Après avoir pris le contrôle de l'est et de secteurs à l'ouest, l'opposition a créé à Benghazi un conseil militaire, embryon d'une future armée contre M. Kadhafi, même si certains de ses représentants envisagent une possible demande de frappes aériennes de l'étranger pour faire tomber le régime.

Déterminée à mettre M. Kadhafi hors d'état de nuire, la communauté internationale, qui a gelé les avoirs de son clan, a dit ces derniers jours envisager une interdiction de l'espace aérien libyen pour empêcher un bombardement du régime de civils et opposants.

L'établissement d'une telle zone d'exclusion nécessiterait la destruction préalable des défenses anti-aériennes libyennes, a estimé le Pentagone, après le déploiement de forces navales et aériennes américaines autour de la Libye et alors qu'un navire de guerre américain, l'USS Kearsarge, avec à son bord des centaines de Marines, se rapprochait de ce pays d'Afrique du Nord.

Mais, pour l'instant, a souligné le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, «il n'y a pas de consensus à l'OTAN» sur une intervention militaire. Il a aussi dit que la mise en place d'une zone d'exclusion serait «extraordinairement» compliquée.

Sa collègue, la secrétaire d'État Hillary Clinton, a pourtant averti que «les enjeux sont élevés. Dans les années à venir, la Libye pourrait devenir une démocratie pacifique ou s'enfoncer dans une guerre civile prolongée».

Néanmoins, son homologue français Alain Juppé, jouant la prudence, a souligné qu'une intervention militaire de l'OTAN «mérite d'être regardée à deux fois» et pourrait être «extrêmement contre-productive» dans l'opinion arabe.

Dans l'Est libyen aux mains de l'insurrection, des chefs de l'opposition ont créé un conseil militaire aux contours encore flous à Benghazi, épicentre de la contestation, et ont dit avoir envoyé déjà des «volontaires» dans l'ouest du pays et à Tripoli pour combattre les milices armées de M. Kadhafi.

Mais certains dirigeants de l'insurrection, disant perdre espoir d'un renversement du régime de Mouammar Kadhafi par la révolte populaire, envisagent de demander des frappes aériennes étrangères, selon des opposants.

Selon le diplomate libyen à l'ONU Ibrahim Dabbashi ayant fait défection, le gouvernement de transition qui sera formé par l'opposition commencera à travailler même si M. Kadhafi reste au pouvoir à Tripoli. Des contacts ont été pris à l'ONU dans l'optique d'une reconnaissance internationale, selon lui.

Plus à l'ouest, à Zenten, à 145 km au sud de Tripoli, l'opposition contrôle la ville mais craint une contre-offensive des forces pro-Kadhafi. Elle revendique aussi le contrôle de villes autour de la capitale et dans l'ouest, dont Nalout et Zawiyah, malgré des heurts entre pro et anti-Kadhafi.

À Zawiyah, après des échauffourées nocturnes, la situation était calme, les commerces et les boulangeries ayant même ouvert. Les villes de Misrata, à l'est, et Gherien, au sud, semblent aussi être aux mains de l'opposition.

L'insurrection contrôle en outre les principaux champs de pétrole du pays dont les exportations, notamment vers l'Europe, doivent reprendre bientôt.

Après l'ONU et les États-Unis, l'Union européenne (UE) a adopté un embargo sur les armes contre la Libye ainsi qu'un gel des avoirs et des interdictions de visa contre le clan Kadhafi. Elle a aussi convoqué un sommet extraordinaire le 11 mars consacré à la crise en Libye et en Afrique du Nord.

L'assemblée générale de l'ONU a en outre voté la suspension de la Libye du Conseil des droits de l'homme.

Mais malgré les multiples condamnations et appels à quitter le pouvoir, M. Kadhafi reste imperturbable et continue de minimiser la révolte qui a fait des centaines de morts depuis le 15 février.

«Mon peuple m'adore. Ils mourraient pour me protéger», a-t-il affirmé lundi soir dans un entretien avec la télévision ABC, des déclarations qualifiées de «délirantes» par l'ambassadrice américaine à l'ONU Susan Rice. Son fils cadet, Saïf Al-Islam, a de nouveau «nié» que le régime ait attaqué des civils, dans une interview à la chaîne britannique Sky News, et a relativisé lui aussi la situation. «Il y a un problème à l'est, il faut l'admettre. Mais l'est ne représente que 20% du pays. Le reste est ok».

Sur le plan humanitaire, à la frontière entre la Libye et la Tunisie, la situation a atteint un niveau de «crise» après le passage de quelque 75 000 personnes depuis le 20 février, s'est alarmé l'ONU.

La contestation populaire a continué ailleurs dans la région.

En Iran, les forces de l'ordre ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des rassemblements interdits de partisans de l'opposition à Téhéran, selon des sites d'opposition.

Au Yémen, des dizaines de milliers de manifestants ont envahi Sanaa pour demander le départ du président Ali Abdallah Saleh qui s'en est pris au président américain Barack Obama et a accusé Israël et les États-Unis de manipuler les Arabes.

À Oman, des militants ont commencé un sit-in à Mascate pour dénoncer la corruption après une intervention de l'armée pour débloquer le port de la ville de Sohar agitée par quatre journées de contestation.