La ville côtière de Zarzis, dans le sud-est de la Tunisie, est envahie par des milliers de migrants égyptiens qui ont fui le chaos en Libye. Zarzis fait de son mieux pour les accueillir, encore secoué par sa propre tragédie. À la mi-février, la ville a perdu près de 3000 jeunes hommes. Ils ont pris la mer pour l'Europe, en quête d'une vie meilleure. Malgré la révolution du jasmin et ses hypothétiques promesses.

Mona Zaïr a bien tenté de convaincre son fils Abdallah, 16 ans, de ne pas prendre la mer. «Je l'ai supplié de rester pour terminer ses études. Il m'a répondu que, s'il ne prenait pas ce bateau, il traverserait la mer seul, en chaloupe.» Il voulait partir, coûte que coûte. Malgré la révolution du jasmin. Malgré les promesses d'une démocratie naissante.

Abdallah n'avait pas la patience d'attendre les fruits hypothétiques de la révolution. Dans la nuit du 11 février, il s'est rendu avec son oncle Mohamed, 23 ans, sur la plage de la petite ville côtière de Zarzis, dans le sud-est de la Tunisie. Là, un bateau clandestin les attendait. Direction l'Europe. Et le mirage d'une vie meilleure.

Le bateau a coulé au large de l'Italie. Cinq hommes se sont noyés. Treize ont disparu en mer, dont Abdallah et Mohamed.

Mona Zaïr raconte son histoire d'une voix douce. Elle est assise sur le porche de sa petite maison blanche aux volets bleus, au bord de la mer qui lui a pris son fils et son frère.

Zarzis, ville de 130 000 habitants, dépend beaucoup de la Méditerranée - son économie est basée sur la pêche et le tourisme. Mais les temps sont durs pour les pêcheurs, et les touristes ont déserté la Tunisie depuis la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier.

«Il n'y a pas de travail dans les hôtels, explique Hana, la soeur de Mohamed. Ma famille a du mal à survivre.»

Ces jours-ci, des milliers de migrants égyptiens déboulent sur Zarzis, fuyant le chaos de la Libye. La frontière n'est qu'à une heure de route. Les Zarzissiens font de leur mieux pour les accueillir, déroulant les matelas dans leurs écoles, leurs maisons et leurs centres communautaires. Or, ils se relèvent à peine de leur propre tragédie.

La ville a vécu un véritable exode à la mi-février. Près de 3000 jeunes hommes ont pris des bateaux clandestins pour l'Europe. La plupart ont débarqué dans l'île de Lampedusa, en Italie, porte d'entrée de l'immigration illégale sur le continent. Rome s'est alarmée de cette «crise humanitaire», proposant même d'envoyer ses propres forces de sécurité à Zarzis pour stopper les migrants.

Traîtres à la révolution?

C'est la révolution qui a permis aux clandestins de prendre le large. «Avant, la police patrouillait sur les plages et empêchait les gens de prendre la mer», dit Hana. Mais depuis la chute du dictateur Ben Ali, les policiers ont déserté leurs postes. «Aujourd'hui, les gens ont la liberté de tout faire.» Même de fuir.

L'Europe craint désormais que des milliers de Libyens aient bientôt la liberté, eux aussi, d'accoster sur ses rives.

Walid Fellah, blogueur de la ville, a documenté l'exode de ses compatriotes pour sa page Facebook, Zarzis TV. «Quand les jeunes ont vu que les premiers bateaux s'étaient bien rendus à Lampedusa, il y a eu un effet d'entraînement. Pendant une semaine, quatre ou cinq bateaux partaient chaque nuit.»

Sur la plage, les militaires n'ont rien fait pour les en empêcher. «Ils n'avaient pas les ordres pour le faire, dit Walid. Alors, ils se sont limités à coordonner l'embarquement. Ils s'assuraient que les bateaux ne soient pas surchargés.»

L'exode des jeunes Zarzissiens a provoqué des débats enflammés sur la page Facebook de Walid. «Beaucoup de gens écrivent qu'ils sont des traîtres à la révolution. Je réponds qu'ils sont plutôt les victimes de 23 années de dictature.»

Dans cette ville du Sud, région du pays délaissée par le gouvernement de Tunis, des milliers de «chômeurs diplômés» ne peuvent que rêver d'un emploi. «J'ai un diplôme en mécanique de l'aviation, mais je ne travaille pas, rage Mohamed Raziri. Nous sommes tous des chômeurs de luxe!»

Et puis à Zarzis, station balnéaire, les touristes européens exhibent leur richesse à la face des habitants à longueur de jour. Inévitablement, ils créent de l'envie. Les jeunes se disent: «Pourquoi pas nous?»

Ramer pour survivre

Jouhar Goboua était un ami d'Abdallah et de Mohamed. Le pêcheur de 23 ans a payé 2000 dinars (1380$, une véritable fortune à Zarzis) pour une place dans le bateau qui a fait naufrage au large des côtes italiennes.

«Nous étions 120 passagers, raconte-t-il. La traversée durait 20 heures. Il ne restait qu'une heure avant d'atteindre l'Italie quand des garde-côtes tunisiens nous ont arrêtés et demandé de lever les mains en l'air. Puis, ils ont foncé sur nous.»

Le bateau clandestin s'est brisé en deux. «Les gens qui dormaient dans la coque se sont noyés. D'autres ont sauté à la mer. Les garde-côtes se sont éloignés et ont regardé le bateau couler sans nous venir en aide», affirme-t-il.

Les autorités tunisiennes soutiennent plutôt qu'il s'agit d'un accident. Quoi qu'il en soit, la tragédie a mis un terme à la vague d'immigration.

De retour à Zarzis, Jouhar désespère. Comme son père est malade, il est le seul soutien de sa famille. Hier, le pêcheur a demandé un emprunt à la banque afin d'acheter un moteur pour sa barque. Sans succès. Il devra continuer à ramer.

Le naufrage lui donne toujours des cauchemars. Qu'importe. Si un autre bateau part pour l'Europe, il promet d'être du voyage.