«J'ai vu la mort. Ces gens ne connaissent pas Dieu!» Moussa Sassi est sous le choc. Fraîchement débarqué d'un avion en provenance de Tripoli, le jeune Tunisien gesticule, se frappe la tête, fait mine de tirer à la mitraillette devant une foule compacte rassemblée autour de lui.

M. Sassi a fui Tripoli hier, comme des milliers d'autres avant lui. La capitale libyenne, raconte-t-il, a sombré dans l'anarchie.

«C'est le chaos total, dit le soudeur, rencontré à son arrivée à l'aéroport de Tunis. Il y avait des tireurs sur les toits. Ils ont abattu une vieille femme. J'ai vu un militaire tirer à la kalachnikov sur une personne déjà allongée par terre.»

«Des gens armés, à bord d'hélicoptères, tirent sur les maisons, dit Pababi Toufik, chef cuisinier tunisien, qui a rendu son tablier à l'hôtel où il travaillait, à Tripoli. J'ai aussi vu des avions de combat au-dessus de l'aéroport.»

Un aéroport plein à craquer. Depuis lundi, les étrangers qui cherchent à fuir s'y entassent dans un épouvantable désordre. «Il y a tellement de monde que des centaines de personnes n'arrivent même pas à entrer à l'intérieur», raconte M. Toufik, exténué. Il n'a pas dormi ni mangé depuis quatre jours.

«Les gens ont faim, ils ont soif. Ils n'ont rien. Ils se sont enfuis en laissant tout derrière eux. Il faut les aider, supplie Kaïs Badri, qui a eu la chance de monter à bord d'un avion pour Tunis, hier soir. Je n'ai pas de mots pour décrire ce qui se passe là-bas. Catastrophique est un terme beaucoup trop faible!»

Les violences ont surtout lieu la nuit, selon les hommes interrogés hier. «Le jour, c'est plus calme», dit M. Toufik. Presque trop calme: les habitants se terrent. Tripoli est devenu une ville abandonnée. «Tous les commerces sont fermés. Plus personne ne travaille. On appelle des amis, en vain. Le téléphone ne fonctionne plus.»

Ces témoignages recoupent ceux qu'ont recueillis à la frontière des journalistes de l'Agence France-Presse. Des réfugiés libyens y décrivent aussi des violences qui débutent à la tombée du jour, oeuvre, selon eux, des «comités révolutionnaires» du régime de Mouammar Kadhafi.