Mouammar Kadhafi n'a ni l'intention de démissionner ni envie de tendre l'oreille à ses opposants. Dans un long discours aussi «effrayant» - selon la chancelière allemande Angela Merkel - que décousu, le «guide spirituel» des Libyens a menacé les opposants d'une riposte sanglante.

«Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries», a-t-il lancé lors d'un discours de 70 minutes qu'il a donné, vêtu d'un uniforme de couleur brune, dans sa maison bombardée en 1986 par les Américains.

«Nous n'avons pas encore fait usage de la force, mais si la situation requiert le recours à la force, nous y recourrons», a-t-il assuré. Déjà, les affrontements ont causé la mort de 242 civils et 58 militaires, a déclaré son fils Saïf al-Islam en soirée.

Les menaces envers les contestataires qui oseront encore le défier étaient tranchantes. Kadhafi a notamment évoqué la répression chinoise de la place Tiananmen de 1989 - qui avait fait plusieurs centaines de morts.

«Les gens qui faisaient face aux chars ont été écrasés. L'unité de la Chine est plus importante que ces gens à Tiananmen», a-t-il dit, en insistant qu'il en était de même pour la Libye. La partie orientale du pays était hier sous contrôle des opposants au régime. Le correspondant de la chaîne américaine CNN, Ben Wedeman, a décrit hier comment des opposants l'ont accueilli à la frontière égypto-libyenne en lui souhaitant la bienvenue en «Libye libre».

La faute à la drogue

Le discours contenait également des passages pour le moins étonnants, comme son explication du soulèvement de la jeunesse arabe causé, selon lui, par des «drogues hallucinogènes». «Ils doivent recevoir une leçon et cesser de prendre de la drogue. Ce n'est pas bon pour vous, pour votre coeur».

Les jeunes Libyens, «pas ces rats drogués», a précisé le leader libyen en parlant des manifestants, doivent «créer (aujourd'hui) les comités de défense de la révolution: ils protègeront les routes, les ponts, les aéroports». Les opposants allaient lui «demander pardon», a-t-il prédit, «mais nous serons sans merci».

Du même coup, alors qu'il appelait ses partisans à s'emparer de la rue aujourd'hui, il a promis qu'il annoncera ce même jour des réformes au pays.

Réactions

«Clairement, Kadhafi ne comprend pas les dynamiques à l'oeuvre dans son pays, ni l'ampleur de l'opposition», croit le professeur Rex Brynen, de l'Université McGill. Toutefois, l'ampleur de la répression dépendra de la loyauté de l'armée et des services secrets envers le dictateur. Cette réponse ne sera pas sans influencer les soulèvements populaires dans le monde arabe. «S'il tombe bientôt, cela pourrait donner de l'énergie aux manifestants, mais si la violence continue, semaine après semaine, cela peut refroidir les réformes», poursuit M. Brynen.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a demandé hier «la fin immédiate» des violences en Libye et condamné la répression des manifestants orchestrée par Kadhafi lors d'une réunion d'urgence consacrée à la crise dans le pays.

Autres défections

Malgré cette apparente démonstration de force, les appuis au régime n'ont cessé de s'effriter. L'ambassadeur de la Libye à Washington a rejoint les autres diplomates libyens qui ont renié Kadhafi.

En fin de journée, le ministre de l'Intérieur, Abdel Fatah Younes a démissionné, imitant son collègue du ministère de la Justice. M. Younes a affirmé sa «conviction totale par rapport à la sincérité des exigences» du peuple libyen. «J'appelle toutes les forces armées à répondre aussi aux demandes du peuple en solidarité avec la révolution».

Pendant ce temps, aux frontières tunisiennes et égyptiennes, les réfugiés sortent du pays avec des histoires d'horreurs dans les bagages. À l'AFP, des Tunisiens ont raconté des nuits de terreur à Tripoli, «les hommes de Kadhafi et des mercenaires tirant dans tous les sens, arrêtant, braquant, violant, tandis que des blessés étaient en sang». Côté égyptien, un ingénieur à décrit à l'Associated Press avoir vu «des armes et des gens fous». «Tout le gouvernement est disparu.», a-t-il ajouté.

Extraits du discours de Kadhafi

«Si j'avais été président, j'aurais démissionné, mais j'ai mon fusil et je me battrai jusqu'à ma dernière goutte de sang.»

«Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries.»

«Aucun fou ne pourra couper notre pays en morceaux.»

«Mouammar Kadhafi n'a pas de poste officiel pour qu'il en démissionne. Mouammar Kadhafi est le chef de la révolution, synonyme de sacrifices jusqu'à la fin des jours. C'est mon pays, celui de mes parents et des ancêtres.'