Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, confronté à une révolte populaire sans précédent depuis une semaine, a juré mardi de rétablir l'ordre en brandissant la menace d'une répression sanglante, alors que les violences ont déjà fait au moins 300 morts.

Promettant de se battre «jusqu'à la dernière goutte» de son sang, il a appelé la police et l'armée à reprendre la situation en main et assuré que tout manifestant armé méritait la «peine de mort».

«Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries», a-t-il lancé dans un discours télévisé enflammé de plus d'une heure. Drapé dans une tunique marron, il s'exprimait devant sa maison bombardée en avril 1986 par les Américains et laissée depuis en l'état.

Son ministre de l'Intérieur, Abdel Fatah Younes, a cependant déclaré qu'il se ralliait à la «révolution», selon des images diffusées mardi soir par Al-Jazira.

«J'appelle toutes les forces armées à répondre aussi aux demandes du peuple en solidarité avec la révolution», a ajouté le ministre vêtu d'un uniforme militaire sur des images diffusées par la chaîne. De hauts responsables libyens, ministres, diplomates ou militaires ont déjà fait défection pour marquer leur opposition à la répression.

Selon des chiffres diffusés dans la soirée avant une conférence de presse de Seif al-Islam, fils du colonel Kadhafi, les violences ont déjà fait 300 morts (242 civils et 58 militaires).

La plupart des victimes ont été recensées à Benghazi (104 civils et 10 militaires), deuxième ville du pays à 1.000 km à l'est de Tripoli et foyer de l'insurrection, Al-Baïda (63 civils et 10 militaires) et Derna (29 civils et 36 militaires).

«Nous n'avons pas encore fait usage de la force, mais si la situation requiert le recours à la force, nous y recourrons», a pourtant assuré Mouammar Kadhafi dans son discours.

«Tous les jeunes doivent créer demain les comités de défense de la révolution: ils protègeront les routes, les ponts, les aéroports», a-t-il dit, en appelant ses partisans à manifester à partir de mercredi.

«Aucun fou ne pourra couper notre pays en morceaux», a ajouté le colonel, au pouvoir depuis plus de 40 ans, menaçant de «purger (le pays) maison par maison».

Les violences meurtrières, d'abord concentrées à l'Est, ont touché la capitale dimanche soir, alors que le calme était revenu à Benghazi lundi soir, selon des témoins. D'après l'organisation Human Rights Watch (HRW), la répression a déjà fait «au moins 62» morts à Tripoli depuis dimanche.

«Les milices, les forces de sécurité fidèles à Kadhafi sévissent de façon terrible, cassent les portes, pillent (...). Il est impossible de retirer les corps dans les rues, on se fait tirer dessus», a expliqué à l'AFP la présidente de la Fédération internationale des ligues de droits de l'Homme (FIDH), Souhayr Belhassen.

Des Tunisiens ayant fui le pays ont raconté à l'AFP des nuits de terreur à Tripoli, les hommes de Kadhafi et des mercenaires tirant dans tous les sens, arrêtant, braquant, violant.

Dans la capitale, beaucoup d'étrangers restaient confinés chez eux. L'aéroport était bondé, et de nombreux pays ont annoncé mardi l'envoi d'avions ou de navires pour évacuer des ressortissants.

Le Conseil de sécurité de l'ONU était réuni en urgence mardi à New York, les Occidentaux plaidant pour l'adoption d'une déclaration forte condamnant les violences.

La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a parlé d'un «bain de sang totalement inacceptable» et la Ligue arabe a annoncé que la participation de la Libye à ses réunions était suspendue «jusqu'à ce que les autorités libyennes acceptent les revendications» du peuple libyen «et assurent sa sécurité».

La chancelière allemande Angela Merkel a jugé le discours du colonel Kadhafi «très effrayant» et évoqué de possible «sanctions» en cas de poursuite des violences.

Les Européens étaient cependant divisés sur ces sanctions, certains pays redoutant un retour de bâton contre leurs ressortissants sur place ou une ouverture des vannes de l'immigration. Rome craint ainsi de voir affluer entre 200 à 300 000 migrants si la Libye cesse de bloquer les départs.

Le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, dont le pays a des relations économiques très étroites avec la Libye, s'est entretenu dans la soirée au téléphone avec le colonel Kadhafi.

La haut commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay a exigé l'ouverture d'une «enquête internationale indépendante» sur les violences, évoquant la possibilité de «crimes contre l'humanité».

Sur le plan économique, l'escalade meurtrière en Libye, important producteur mondial d'or noir, fait grimper les prix du pétrole à des niveaux inédits depuis 2008. L'Opep s'est dit prête à augmenter sa production en cas de besoin, tout en assurant que le marché restait largement approvisionné.

En revanche, le seul gazoduc reliant la Libye à l'Italie et à l'Europe a été coupé mardi.