«L'est de la Libye sera libre ce soir!» L'appel, relayé sur Twitter hier, témoignait de l'enthousiasme fiévreux qui animait les opposants au régime, qu'ils soient sur le terrain ou, très souvent, à l'étranger.

Des manifestations ont en effet secoué les villes de Derna, Al-Baïda, et évidemment Benghazi, deuxième ville du pays, mais la répression y a été violente. Les bilans dénombrent au moins une quarantaine de morts depuis mardi, mais certaines sources avancent que le nombre pourrait être beaucoup plus élevé.

Dans son bureau de Genève, en Suisse, le secrétaire général de la Ligue libyenne des droits de l'homme est très inquiet. «Le gouvernement a ordonné que les portes des hôpitaux soient fermées aux manifestants blessés. Ils ont aussi ordonné aux ambulances de ne pas aller chercher les blessés. Et la Libye fait partie du conseil des droits de l'homme des Nations unies!», s'insurge Sliman Bouchuiguir, joint hier par La Presse.

La couverture médiatique est limitée, les frontières étant fermées aux journalistes étrangers. Plusieurs images vidéo captées et mises en ligne par des Libyens ont néanmoins surgi sur l'internet, dont certaines très crues montrant les corps de manifestants abattus.

Mais le colonel Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans, est encore bien en selle. «Le régime croit que, parce qu'il est riche, il peut tout acheter, les principes aussi, dit M. Bouchuiguir. Et avec le pétrole, il a une influence capitale sur les pays occidentaux. Il considère qu'il peut faire ce qu'il veut.»

«Si Kadhafi a réussi à se tirer indemne d'un crime contre l'humanité qui a fait 270 morts dans l'explosion d'un avion civil (attentat de Lockerbie en 1988, NDLR), on ne peut pas critiquer les Libyens qui n'ont pas osé s'opposer à lui avant, dit M. Bouchuiguir. Et avec chaque victoire, Kadhafi devient plus fort et ce sont les Libyens qui en paient le prix.»

L'Est se soulève

Benghazi, deuxième ville du pays située à 1200 km à l'est de Tripoli, a encore été secouée par les manifestations hier. Les locaux de la radio d'État ont notamment été incendiés. «Benghazi est la capitale intellectuelle et culturelle du pays. Les gens y sont plus éduqués qu'ailleurs, dit M. Bouchuiguir. Tripoli est un centre diplomatique, elle n'a rien d'intellectuel.»

Comme en Égypte et en Tunisie, les jeunes mènent l'opposition et réclament un changement de régime. «L'Égypte de Moubarak et la Tunisie de Ben Ali étaient, en comparaison avec la Libye, des océans de liberté d'expression, ajoute-t-il. Et je pèse mes mots! En Libye, il n'y a aucune marge de liberté. Aucune. Vous devez penser comme Kadhafi, ou alors, vous gardez vos pensées pour vous. En Libye, il n'y a ni constitution ni séparation du pouvoir. Depuis 42 ans, la Libye n'a eu aucune élection, aucun référendum.»

Le régime continue de marteler sa propagande par le truchement de ses comités révolutionnaires, qui ont menacé hier les «groupuscules» manifestant contre Mouammar Kadhafi d'une riposte «foudroyante», selon l'AFP.

Devant la situation, Londres a décidé d'annuler huit contrats d'exportation de «matériel de sécurité» vers la Libye, comme des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène, par crainte que ce matériel puisse être utilisé contre les manifestants. La même décision a été prise concernant Bahreïn et est à l'étude pour le Yémen.

«Les choses peuvent tourner, espère néanmoins M. Bouchuiguir. Si Tripoli rejoint le mouvement, je crois que ce sera la fin de Kadhafi. Même maintenant, je crois que c'est le début de la fin.»

Avec l'AFP