Révolution Facebook? Révolution Twitter? Le débat divise les observateurs. Une chose est sûre, personne ne peut nier le rôle que jouent les médias sociaux dans la propagation de la colère des révolutionnaires moyen-orientaux. En Égypte, sur Twitter, le mot-clic #Jan25 est devenue l'étiquette officielle de la révolution, rappelant la première manifestation d'importance tenue le 25 janvier. Et la première à l'avoir utilisé est une étudiante de 22 ans en lettres françaises de l'Université du Caire: Alya El Hosseiny. Nous l'avons retracée.

Propos recueillis par Judith Lachapelle.

Q. Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la politique?

R. Ma famille a toujours fait de la politique. Nous sommes tous de gauche, et entre les journalistes, les activistes, les professeurs, la politique est un sujet de discussion constant à table. Mon grand-père a été en prison, ainsi que tous ses frères. Quand je vais manifester, j'accompagne souvent mon père. C'est quelque chose avec laquelle j'ai grandi.

Q. Comment avez-vous vécu la chute de Ben Ali en Tunisie?

Comme si c'était mon propre pays. Je suivais les évènements depuis fin décembre, et le jour de sa chute, je sautais de joie!

Q. Comment est né le mot-clic #Jan25? Faisiez-vous partie des premiers manifestants?

R. J'étais très enthousiaste pour les manifs du 25 janvier, même si beaucoup étaient plutôt sceptiques. Donc je me suis mise à en parler sur Facebook et sur Twitter. Malheureusement, je n'ai pas pu manifester le 25 (j'avais un examen le 26, donc je ne pouvais pas risquer d'être arrêtée). J'ai dû rester chez moi et essayer d'aider les manifestants en tweetant et retweetant toute information utile. Le 26 janvier j'ai pu participer à une petite manif, mais qui n'a pas duré. C'était le 28 que je suis sortie dans les grandes manifestations.

Q. Votre mot-clic #Jan25 a été repris par tous les micro-blogueurs de Twitter. Cela doit vous amuser de penser que vous avez été la première à l'utiliser?

R. Oui, en effet, pour moi c'est drôle, surtout que je ne suis pas une activiste connue. Je fais ce que je peux, mais ce n'est que par coïncidence que j'ai été la première à utiliser ce mot-clic qui a été repris. Il y a eu d'autres, comme #25jan ou #jan25demo, mais ils n'ont pas cliqué (pour ainsi dire) avec les gens.

Q. On débat sur l'importance de Facebook, Twitter et YouTube dans la révolution du 25 janvier. De votre point de vue, aurait-il été possible de mobiliser autant les Égyptiens sans les médias sociaux?

R. Oui, bien sûr, mais plus difficilement. Mais les révolutions se sont toujours faites sans l'Internet, ni même de portables! C'est ce qu'on s'est dit quand le gouvernement a bloqué Internet et les lignes de portable.

Q. Vous avez déjà dit que les Égyptiens qui ne se reconnaissaient pas dans les Frères musulmans espéraient un leader comme Barack Obama pour susciter une révolution. Pourquoi?

R. L'opposition égyptienne est mal organisée, surtout celle de gauche. On se disait que pour rallier les masses et pouvoir affecter le régime de Moubarak, il fallait un leader «spirituel» pour toucher les gens. Heureusement, la Tunisie a prouvé le contraire en démontrant qu'une révolution populaire pouvait faire tomber un régime dictatorial, sans l'appui d'un leadership et d'une organisation solide. Le 14 janvier [jour de la chute de Ben Ali en Tunisie] est le jour où nous avons commencé à croire au 25 janvier.

Q. Entre le 25 janvier et vendredi dernier, étiez-vous souvent sur la place Tahrir? On y a vu surtout des hommes; était-il plus difficile pour les femmes d'aller manifester?

R. J'y ai été presque tous les jours. Les deux derniers jours je me suis basée devant le Parlement, mais ce n'était pas très loin, et je passais tout de même par Tahrir. Les femmes n'étaient pas une majorité, mais on était nombreuses tout de même, et on se sentait à l'aise. On n'a pas été harcelées du tout, ce qui était une bonne surprise. L'atmosphère était celle d'un respect mutuel entre tous à Tahrir. On était tous des révolutionnaires, donc frères et soeurs.

Q. Certains Occidentaux ont peur que les islamistes ne profitent de l'occasion pour s'emparer du pouvoir en Égypte. Qu'en pensez-vous?

R. J'en doute. Sur la place Tahrir, ils étaient présents et très respectueux envers tout le monde. J'ai été impressionnée. Je pense que nous les Égyptiens nous sommes découverts les uns les autres à Tahrir. Nous sommes tous devenus plus tolérants, y compris les islamistes. Toutefois, j'ai remarqué beaucoup de méfiance à leur égard; les gens ne leur font pas confiance. Si l'on avait des élections demain, je ne pense pas qu'ils auraient la majorité. En même temps, avec une constitution solide qui garantit les droits de chaque citoyen, et les bases de la démocratie, on ne s'inquiéterait plus des islamistes. Il faut des garanties constitutionnelles qui empêcheraient qui que ce soit de monopoliser le pouvoir et d'établir un système non-démocratique (et qui empêcheraient aussi de les modifier ou les enlever). Si l'on a ça, on pourrait élire des islamistes, et puis quelques années plus tard le regretter et élire quelqu'un d'autre.

Q. Que souhaitez-vous pour la suite des choses? Quelles sont vos craintes?

R. J'espère qu'un comité présidentiel civil et un gouvernement de technocrates seront constitués et prendront le pouvoir au plus vite. Je crains que l'armée, qui est une institution qui a beaucoup profité de l'ancien régime, n'essaie de rétablir ce régime sous une forme moins évidente. Il est essentiel que le pouvoir soit dans les mains des civils pendant cette période de transition.