Parmi eux, il y a une psychiatre, un pharmacien, quelques ingénieurs et des avocats. Ils sont socialistes, libéraux, Frères musulmans ou sans affiliation connue.

La plupart sont dans la jeune trentaine. Leur coalition a orchestré un soulèvement populaire qui a dépassé leurs espoirs les plus fous. Mais maintenant, ils ont peur que cette révolution ne leur échappe.

«Nous demandons au peuple de protéger la révolution», a lancé gravement, hier, Shady El Ghazeli, un des porte-parole du groupe.

Avec trois compagnons de lutte, ce chirurgien de 32 ans donnait une conférence de presse sur la terrasse d'une maison d'édition cairote, au milieu de tapis orientaux et de drapeaux égyptiens.

La veille, la coalition avait rencontré les représentants de l'armée, qui dirige le pays depuis le départ du président Hosni Moubarak, et avait demandé à faire partie du dialogue qui s'amorce sur l'avenir de l'Égypte.

En attendant, elle maintient la pression, tout en reconnaissant que l'on a satisfait à la plupart de ses demandes. Il reste encore à abroger la loi sur l'état d'urgence, à libérer les prisonniers politiques et, surtout, à dissoudre le cabinet ministériel hérité de l'ère Moubarak.

«Nous savons tous quels ministres sont corrompus et nous voulons qu'ils quittent ce gouvernement aussitôt que possible», dit Shady El Ghazeli.

Le Conseil militaire suprême, qui a pris le pouvoir après le départ du dictateur, a cédé la gestion courante du pays au gouvernement nommé en catastrophe à la fin du mois de janvier. Ce qui, selon la coalition, contribue à perpétuer le régime.

Treize à table

Mais d'où sort donc cette coalition qui affirme vouloir défendre les intérêts du peuple dans la période délicate qui s'amorce? En fait, elle a été formée trois semaines avant la première grande manifestation de la place Tahrir, explique une de ses membres, Sally Moore.

Elle rassemble cinq organisations: l'Association nationale pour le changement, lancée par le Prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, trois autres groupes de l'opposition et les Frères musulmans. Chacun de ces groupes a droit à deux délégués dans la coalition, qui compte aussi trois membres indépendants.

Avec 13 personnes issues d'horizons politiques divergents, ce n'est pas toujours facile de s'entendre sur une stratégie commune. «Il y a beaucoup de débats, pas tant avec les Frères musulmans qu'entre les libéraux et les gauchistes», explique Sally Moore - seule femme et seule chrétienne du groupe.

Position délicate

La coalition avance sur un fil de fer. Trois jours après la chute du dictateur, les Égyptiens n'ont pas cessé de manifester. Leurs revendications ne sont plus politiques, mais sociales. Ils veulent améliorer leur sort.

Tout le pays est touché par des grèves. Hier, il y a eu des débrayages dans les banques, les services ambulanciers et les transports. Même les policiers, qui avaient durement réprimé les manifestants dans les premiers jours, ont sorti leurs pancartes pour réclamer de meilleurs salaires. Quand il les a vus, mon chauffeur de taxi a été pris d'un fou rire: pas possible, des policiers qui manifestent!

L'armée en a assez de ce désordre. Dans un communiqué publié hier, elle demande aux «Égyptiens honorables» de retourner travailler, pour le bien du pays. Selon Al Jazira, le Conseil militaire suprême se préparerait même à interdire les grèves. Hier, l'armée a aussi banni les caméras de télévision de la place Tahrir, où quelques centaines de manifestants avaient repris du service.

La coalition révolutionnaire appuiera-t-elle les grévistes, au risque de s'aliéner l'armée? Ou appellera-t-elle les grévistes à ranger leurs pancartes? Pour l'instant, elle ne fait ni l'un ni l'autre. Et elle continue à croire en la bonne foi des militaires.

«Ils nous ont débarrassés du président, nous espérons qu'ils seront maintenant de notre côté», dit Shady El Ghazely.

La voix du peuple

Les quatre représentants de la coalition qui ont rencontré les médias, hier, avaient les traits tirés et l'air tendu. Depuis la chute de Moubarak, ils passent des heures en réunion. Visiblement, ils cherchent quel rôle ils joueront dans les mois à venir.

L'armée a créé un comité chargé de rédiger un projet de constitution qui sera soumis à un référendum. Le comité sera formé d'experts, mais la coalition aimerait être consultée. Elle se voit comme une sorte de lobby pour la protection des idéaux de la place Tahrir.

L'ennui, c'est que «l'armée n'aime pas recevoir des ordres», résume Shady El Ghazely, qui admet craindre que son groupe, qui a précipité la chute du régime Moubarak, ne soit tenu à l'écart des changements à venir.