Le gouvernement algérien a eu recours aux grands moyens samedi pour bloquer la tenue d'une manifestation prévue dans la capitale du pays, sans venir à bout pour autant de l'ardeur de ses détracteurs.

Non moins de 30 000 policiers avaient été déployés à Alger et dans les environs pour limiter la participation de la population à une marche interdite organisée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD).

Malgré le blocage des routes, l'interruption des services de transport publics et les contrôles multiples, quelques milliers de personnes ont réussi à se rendre au point de départ prévu, place du 1er mai, pour souligner leur opposition au régime du président Abdelaziz Bouteflika.

Adila, artiste de 27 ans, était parmi les manifestants, qui n'ont pu quitter la place pour marcher en raison de l'opposition des policiers.

«L'Algérie est un pays bloqué. La meilleure chose à faire, pour le faire bouger, est de se mettre en mouvement en reprenant la rue», souligne en entrevue la jeune femme, arrêtée peu après son arrivée sur les lieux.

Au commissariat, relate-t-elle, des dizaines d'hommes et de femmes appréhendés comme elle ont commencé à entonner des chants révolutionnaires algériens, suscitant la colère de leurs geôliers.

«Un policier m'a pris par les cheveux, m'a soulevée dans les airs et m'a projetée au sol. C'était très violent. Je n'avais jamais vécu ça», raconte Adila, qui a pu quitter les lieux après avoir été détenue pendant près d'une heure.

Le régime «a vraiment peur»

Bien qu'elle reconnaisse avoir été secouée par le traitement reçu dans le commissariat, la jeune femme n'entend pas baisser les bras. Tout au contraire, en fait.

L'importance du dispositif répressif de samedi démontre, selon elle, que le régime «a vraiment peur» d'un soulèvement populaire dans le pays.

Les Algériens, ajoute Adila, n'ont pas attendu les révolutions tunisienne et égyptienne pour s'indigner. «L'Algérie a déjà fait une révolution. Elle continue dans cette voie. On est train de se battre pour la récupérer», note la jeune femme, qui dépeint le régime algérien actuel comme une «dictature».

Le pays est touché depuis des mois par des manifestations spontanées et des grèves. Début janvier, des émeutes ont fait cinq morts et plus de 800 blessés. La CNCD, qui regroupe des partis de l'opposition, des organisations civiles et des syndicats non officiels, a été créée dans la foulée pour favoriser un changement politique du pays.

Même si le nombre de manifestants relevé samedi est sans commune mesure avec les foules observées en Égypte ou en Tunisie, les dirigeants du mouvement se sont félicités hier du niveau de participation. Ils ont annoncé du même souffle qu'ils prévoyaient tenir une autre marche samedi prochain.

«Nous avons brisé le mur de la peur», a déclaré l'un des fondateurs de l'organisation, Fodil Boumala.

«C'est certain, on va continuer, on ne va pas lâcher», a indiqué dans la même veine Mohammed Sadek, qui milite au sein d'un parti de l'opposition membre de la CNCD.

«Le système va partir et tous ceux qui le gèrent vont partir aussi», assure ce retraité de 55 ans, qui ne s'étonne pas outre mesure de la réponse musclée du régime à la manifestation de samedi. «Eux aussi ne vont pas lâcher», souligne-t-il.

Revenus pétroliers

Takhib, technicien de 30 ans aussi présent à la manifestation de samedi, a souligné hier que l'importance du déploiement des forces de l'ordre lui avait donné l'impression que l'Algérie se transformait en État policier.

«Alors que les Tunisiens en sortent, nous allons dans le sens contraire», déplore le jeune homme, qui s'attendait à une plus forte participation de la population.

«Même s'il y a un ras-le-bol important, les gens ne sont pas mobilisés comme ils devraient l'être», souligne-t-il.

Selon lui, les revenus très importants que tire le pays de l'exploitation pétrolière ont permis au régime d'apaiser sensiblement les tensions en multipliant les annonces d'aide à la population. «L'Algérie est sur un matelas financier plutôt confortable qui lui permet d'acheter la paix», ajoute Takhib.

De fait, il était difficile de déceler le moindre signe de tension dans les rues de la capitale hier. Le trafic était notamment rétabli à la place du 1er mai, rond-point de taille modeste dominé par des tours résidentielles couvertes de coupoles satellites et de rideaux colorés qui flottent au vent. La présence policière y était minimale.

Adila, qui entend «évidemment» être présente à la prochaine manifestation, convient qu'il y a encore du «travail» à faire pour alimenter la contestation.

«On se bat pour qu'il devienne évident pour tout le monde que les choses doivent changer», conclut-elle.