Hosni Moubarak devait annoncer sa démission jeudi. L'armée égyptienne s'y attendait. Le nouveau chef du parti au pouvoir le lui avait directement demandé. Mais malgré plus de deux semaines d'importantes manifestations organisées par des opposants déterminés, insensibles aux concessions mineures proposées, le président ne comprenait toujours pas.

Les hauts conseillers de Moubarak et sa famille - incluant son fils Gamal, largement vu comme son successeur présumé -, lui auraient affimé qu'il pouvait survivre au mouvement d'opposition. Le discours de démission diffusé à la télévision auquel s'attendait la population s'est donc transformé en un effort humiliant pour s'accrocher au pouvoir. Le geste n'a fait qu'enrager les manifestants. Vendredi, l'armée a décidé d'agir.

Samedi, des sources égyptiennes ont donné à l'Associated Press les premières indications de ce qui s'était passé lors des heures précédant la chute de l'inexpugnable leader égyptien depuis près de 30 ans. Certaines d'entre elles ont tenu à garder l'anonymat en raison de la sensibilité de la situation.

Le compte-rendu décrit Moubarak comme étant incapable, ou ne voulant pas comprendre que rien de moins que son départ immédiat sauverait le pays du chaos généré par les manifestations qui ont débuté le 25 janvier. Un haut responsable gouvernemental a déclaré que Moubarak ne possédait pas la structure politique en mesure de le conseiller sur ce qui se passait vraiment dans le pays.

«Il n'allait jamais voir au-delà de ce que son fils Gamal lui disait, alors il était isolé sur le plan politique», a déclaré ce responsable. «Tout geste progressif survenait trop tard pour Moubarak».

L'armée, de son côté, devenait de plus en plus impatiente compte tenu de l'échec de Moubarak et d'Omar Souleimane, le nouveau vice-président, à mettre fin aux protestations.

La révolte est devenue hors de contrôle jeudi et vendredi, avec des manifestations, des grèves, des «sit-in» et même des échanges de coups de feu qui ont embrasé presque tout le pays.

Des sources ont fait état de dissensions au sein du conseil des ministres sur le danger des manifestations, et de tentatives délibérées, de la part de proches conseillers - dont Gamal Moubarak -, de dissimuler au président l'étendue de ce qui se passait dans la rue.

Les sources ayant accepté de parler à l'Associated Press comprennent un haut responsable égyptien, des éditeurs et des journalistes provenant de médias étatiques près du régime qui ont passé plusieurs années à couvrir la présidence d'Hosni Moubarak, des généraux à la retraite en contact avec d'autres officiers bien placés, des membres haut placés du Parti démocratique national, et des analystes familiers avec les machinations ayant lieu dans l'entourage du président.

Leurs souvenirs des événements démontrent que l'armée s'est rapidement inquiétée de la situation. Selon eux, c'est l'armée qui a suggéré à Moubarak de nommer M. Souleimane au poste de vice-président - le premier depuis son entrée au pouvoir, en 1981 -,  et qu'il a chargé des négociations avec les opposants pour trouver une façon de se sortir de la crise.

Ce dernier a échoué sur ce point. Mardi, les chefs des protestataires ont annoncé qu'ils ne négocieraient pas avant le départ de Moubarak, même après qu'il eut annoncé qu'il ne se représenterait pas lors de la prochaine élection prévue en septembre.

Le discours de jeudi, présenté plusieurs heures après que le président eut fait savoir qu'il s'adresserait à la nation semblait avoir été préparé à la hâte. On y voyait même Moubarak filmé entre deux prises, en train de rajuster sa cravate.

Lors de son allocution, Hosni Moubarak a déclaré qu'il transférait la plupart de ses pouvoirs au vice-président, mais a de nouveau rejeté les appels à sa démission. Il s'est engagé à instaurer des réformes, intenter des poursuites contre les responsables des violences qui ont fait de nombreux morts, et a offert ses condoléances aux familles des victimes.

Le discours a confirmé ce que plusieurs Égyptiens craignaient depuis des années: Moubarak était déconnecté de son peuple.

Les sources ne s'entendent pas à savoir si le discours de jeudi a été fait avec le consentement de l'armée, et s'il représentait la dernière chance de Moubarak de reprendre le contrôle de la situation.