Les temps semblent durs pour les dictateurs. Ben Ali a été destitué en Tunisie. Moubarak vient de jeter l'éponge en Égypte. Mais ces derniers ne sont que la pointe de l'iceberg d'un monde autoritaire. Aux quatre coins du monde, des dictateurs et dictatures de natures diverses continuent de régner. Avec la peur comme principale arme de persuasion massive.

Il suffit de dire le mot «dictateur» pour qu'une foule de noms nous viennent en tête: Hitler, Staline, Pol Pot ont marqué le XXe siècle par leur brutalité. Avec la fin de la guerre froide, plusieurs experts avaient prédit la fin des régimes dirigés par des despotes. Mais c'était oublier l'un des principaux talents des dictateurs contemporains: s'accrocher au pouvoir coûte que coûte.

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«On est incapable de voir la fin des dictateurs», soupire Arch Puddington, directeur de la recherche au Freedom House, joint par téléphone à Washington. L'organisme étudie l'état des libertés civiles, politiques et économiques dans les 194 pays du monde.

En rendant public le mois dernier le rapport Freedom in the World 2011 (Liberté dans le monde 2011), M. Puddington a fait un constat navrant: près de 35% des habitants de la planète vivent dans des pays où les droits individuels n'existent pas et où la répression est la règle. Parmi les 10 pays les moins libres, 9, dont la Birmanie, la Corée du Nord, la Libye, le Soudan, le Turkménistan et le Tibet, sont sous l'emprise de dictateurs... ou de dictatures.

Mais comment définit-on la dictature en 2011? «Aujourd'hui, il y a toujours des exemples de dictateurs classiques qui concentrent tout le pouvoir dans les mains d'une seule personne. C'est notamment le cas de Cuba avec les frères Castro ou de Mouammar Kadhafi en Libye. Mais de plus en plus, la dictature tend à être l'oeuvre d'un petit groupe de personnes qui partagent le pouvoir», explique M. Puddington. Il note que le régime communiste chinois en est l'un des meilleurs exemples. Loin sont les jours où Mao Zedong faisait à lui seul la pluie et le beau temps. Aujourd'hui, le président chinois Hu Jintao partage le pouvoir avec le Politburo.

Phénomène universel

Le Guide suprême, dictionnaire des dictateurs unique en son genre, recense une cinquantaine de dictateurs dans l'histoire, de Hafez al-Assad, en Syrie, à Tito, en Yougoslavie, en passant par Augusto Pinochet. Il démontre qu'aucune partie du monde n'a le monopole historique de la dictature. Ni aucun courant idéologique. «Il y a des dictateurs de droite, de gauche, des religieux et des laïcs» note l'historien français Bruno Fuligni, qui a participé à cet ouvrage, publié en 2008. «Parce que nous avons mis Atatürk dans le livre, certains nous ont trouvés durs, mais ce qui définit un dictateur, c'est la manière dont il prend le pouvoir et maintient le mensonge de sa légitimité par la violence», explique-t-il.

Selon lui, les monarques, aussi autoritaires soient-ils, ne peuvent pas être qualifiés de dictateurs puisque c'est l'hérédité qui est à la base de leur pouvoir; leur légitimité n'est pas fondée sur l'accord du peuple.

La plupart des dictateurs contemporains sont arrivés au sommet après un coup d'État ou une révolution, dont ils sont souvent les héros mais qu'ils récupèrent à leur compte, explique l'historien. Ils multiplient les élections truquées pour asseoir leur légitimité. Tous ont aussi en commun de réprimer durement leur opposition et de monopoliser les moyens de communication - télévision et radio hier, internet et réseaux sociaux aujourd'hui.

Dictateurs astucieux

Si la définition des dictateurs a peu changé au cours des décennies, Arch Puddington croit pour sa part que leurs méthodes se sont transformées: «Les dictateurs sont plus astucieux aujourd'hui. Ils commettent de moins en moins de meurtres et de crimes abominables qui attirent l'attention. On ne met plus les gens dans un stade pour les exécuter, comme on l'a vu notamment en Guinée.» Il cite l'exemple de Zine el-Abidine Ben Ali, le dictateur tunisien, qui a régné pendant 23 ans avant d'être chassé du pouvoir le mois dernier par sa population. En prônant la laïcité et le respect des droits des femmes, il a réussi à obtenir l'accord tacite de l'Occident. «Il n'a pas tué ses opposants par milliers. Il les a emprisonnés ou exilés.»

Les choses s'apprêtent-elles à changer avec le vent de contestation qui souffle sur le grand monde arabo-musulman? Arch Puddington en doute: «La plupart des dictateurs ne sont pas une menace directe à la sécurité mondiale», souligne-t-il. Du coup, la communauté internationale ferme les yeux et accepte malgré elle qu'une personne sur deux ne connaisse de la démocratie que le nom.