C'est aujourd'hui le jour J en Algérie. Depuis deux semaines, des appels à manifester pour «changer le système» en place circulent sur le web et dans les rues du pays nord-africain. Le gouvernement a rétorqué en interdisant tout rassemblement dans la capitale, Alger, et en déployant 30 000 policiers. Qui remportera cette confrontation? Nous avons posé la question à Najib Lairini, professeur de sciences politiques à l'Université de Montréal.

Q Il y a des émeutes, des grèves en Algérie depuis plus d'un mois. Une dizaine de personnes se sont immolées par le feu, et quatre d'entre elles sont mortes. Dans ce contexte, quelle est l'importance des manifestations d'aujourd'hui annoncées à Alger, mais aussi à Oran, Tizi Ouzou, Tipaza, Boumerdès et Bijaïa?

R On pourrait dire que c'est le premier match de la Coupe Stanley entre la population algérienne et le pouvoir. Ce sera la première manifestation générale, hétéroclite. Il s'y exprimera un ras-le-bol collectif pas très précis. Les gens écrivent sur le web qu'ils n'ont plus peur et qu'ils ne pensent pas que la police va tenir pendant des semaines devant la colère du peuple. Le régime, lui, est plus déterminé que jamais à tuer la résistance dans l'oeuf. De l'ampleur de cette manifestation dépendra tout ce qui va suivre.

Q Les revendications des Algériens ressemblent-elles à celles des manifestants en Égypte et en Tunisie?

R Les ingrédients de base de la colère sont les mêmes. Le chômage, une jeunesse majoritaire, démunie par rapport à son avenir et qui réclame de meilleures conditions matérielles, dont des emplois et des logements. Mais cette jeunesse veut aussi plus de liberté politique et réclame la démocratisation. L'Algérie n'a rien à envier au régime policier que dirigeait Ben Ali en Tunisie. Il y a un peu plus de liberté de la presse, mais le pays est quadrillé par l'armée. Une différence majeure avec la Tunisie est que l'Algérie est un pays plus riche, avec des ressources pétrolières, mais ces ressources sont accaparées par un tout petit groupe d'individus.

Q Entendra-t-on des «Dégage Bouteflika» en Algérie comme nous avons entendu des «Dégage Ben Ali» en Tunisie, le pays voisin?

R Les jeunes ne veulent plus du régime en place et du président (Abdelaziz) Bouteflika. Il a le même curriculum que Ben Ali et Moubarak. Les Algériens voient ce qui s'est passé en Tunisie et en Égypte grâce aux chaînes câblées. Tôt ou tard, le mouvement algérien va prendre de l'ampleur. Mais la résistance du régime va être féroce. L'armée est plus fidèle au régime du président Bouteflika que ne l'étaient les armées tunisiennes et égyptiennes.

Q Peut-on prévoir le pire pour les manifestants?

R Je ne pense pas que l'armée pourra ouvrir le feu sur la foule. Elle a pu le faire pendant la guerre civile, au temps des islamistes, mais aujourd'hui, c'est la jeunesse qui sort dans les rues et si le régime utilise les armes, ça se retournera contre lui. Plus la rue va résister, plus le régime va reculer. L'épreuve de rue (d'aujourd'hui) va jouer pour beaucoup.

Q Devant la grogne populaire, le président a fait plusieurs promesses. Il a notamment promis de suspendre l'état d'urgence en place depuis 1992, d'ouvrir tous les médias aux partis d'opposition et d'investir dans le logement et la création d'emplois. A-t-il réussi en partie à calmer le jeu?

R Ça ne fonctionne plus les promesses. Avec la guerre civile, les Algériens pensaient qu'il fallait un pouvoir fort pour remettre sur pied la République. Mais 12 ans plus tard, ils voient qu'il n'y a pas d'améliorations dans leur vie.

Q Quel avenir proche pour l'Algérie?

R Selon moi, le régime algérien sera un des prochains à tomber, tout comme le Yémen, la Syrie et le Soudan. Les plus protégés des régimes arabes seront les pétromonarchies du Golfe et la Libye parce que leur population n'est pas aux prises avec des problèmes économiques. En Algérie, tous les facteurs d'explosion sont en place avec une jeunesse qui n'en peut plus et un régime qui n'est pas assez riche pour répondre à toutes les demandes.