Le peuple qui donne la leçon à un Pharaon: presque un mois après avoir fait partir Zine El Abidine Ben Ali les Tunisiens galvanisés ressentaient l'immense fierté d'avoir lancé la Révolution dans le monde arabe qui a balayé un deuxième dictateur» de taille, l'Égyptien Hosni Moubarak.

«C'est du copié-collé. Ils ont gravé un CD de la révolution tunisienne, pris le même itinéraire», lance Atef Hajiji, superviseur d'une grande surface, âgé de 30 ans.

17H30, avenue Habib Bourguiba, haut lieu de la Révolution du jasmin. Dans un concert de klaxons et de chants la nouvelle se répand comme une traînée de poudre: après Ben Ali, 23 ans de pouvoir chassé en mois d'un mois, le raïs égytien balayé en 18 jours après 30 ans de règne.

Les Tunisois, presque sidérés, s'enorgueillissent de voir comment eux, petit peuple de 10 millions d'habitants sans grande portée géopolitique ont été «imités» par le géant égyptien et ses 80 millions d'habitants, coeur battant stratégique du Moyen-Orient.

«La chute de Moubarak, c'est la réussite de notre révolution», s'écrie les yeux brillants Nozha, 34 ans, employée d'une entreprise d'import/export. «On leur a donné le courage, l'initiative, la motivation: c'est une transmission», dit son ami, professeur de gestion de 34 ans, qui préfère taire son nom car «tout de même on ne sait jamais».

Et ils égrènent: même jonction de la révolte sociale de la rue et de la contestation internet des élites, disparition identique et soudaine de la peur face à un régime verrouillé par la police, irréductibilité comparable face aux promesses de présidents ébranlés s'accrochant au pouvoir avec les mêmes mots.

Même slogans aussi, avec le fameux «Dégage Ben Ali» devenu quelques jours après «Dégage Moubarak» dans les rues du Caire où flottaient des drapeaux tunisiens.

«Pour les Egyptiens, on est un mini-peuple. À nous voir comme ça nous révolter, comment ne pouvaient-ils pas vouloir faire tomber Moubarak ?» dit Aymen Benchaabame, journaliste internet de 28 ans.

Il raconte comment ses amis égyptiens ont suivi sur Facebook la révolte en Tunisie avant de franchir le pas. «Au début, ils me disaient de foncer. Ensuite, ils m'ont dit bravo. Aujourd'hui: +t'as vu, on a fait pareil. C'est un peu grâce à vous!"

Même si les régimes ne sont pas tous pareils, même si les pressions étrangères sont n'ont pas le même impact, même si les populations ne sont pas toutes aussi mûres pour se heurter à leur régime autoritaire, les Tunisois se vivent comme les instigateurs d'une grande révolution arabe aux effets dominos illimités.

«C'est une journée de joie et de fierté pour les Tunisiens. C'est extraordinaire, l'Égypte est le plus grand pays arabe, ça ouvre un grand espoir pour tous les pays arabes», déclare ainsi la présidente de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) Mokhtar Trifi.

Déjà, ils parient sur le prochain «tyran» à faire tomber. En Algérie où une grande marche est prévue samedi pour «changer le système» du président Abdelaziz Bouteflika en poste depuis 1999? Au Yemen où la contestation se poursuit pour obtenir le départ du chef de l'Etat Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis 1978? En Libye? En Jordanie ?

«Algérie!», a répondu la foule déchaînée en criant «Le peuple ne veut plus de Bouteflika».

«Ça va être contagieux, ça va passer en Algérie qui ressemble beaucoup à la Tunisie avec une élite structurée et une colère très forte», affirme Tahar Issa, metteur en scène de 32 ans. «Et quand la peur tombe, c'est fini: on gagne tout ou on perd tout».