La contestation contre le président égyptien Hosni Moubarak s'est intensifiée mardi avec des centaines de milliers de personnes défilant au Caire et en province, les manifestations les plus importantes depuis le début du mouvement le 25 janvier.

A la place Tahrir, épicentre de la révolte au Caire, la mobilisation ne montrait aucun signe d'essoufflement malgré les nuits fraîches, la fatigue et les conditions de vie spartiates sur ce rond-point devenu un village de tentes retranché.

La foule a réservé un accueil triomphal au cybermilitant et cadre de Google Wael Ghonim, libéré lundi après 12 jours aux mains des très redoutés services de sécurité d'État.

«J'aime à appeler ça la révolution Facebook mais après avoir vu les gens ici, je dirais que c'est la révolution du peuple égyptien», a lancé le jeune homme, entouré par des milliers de manifestants.

Devenu un symbole de la contestation, Wael Ghonim a confirmé dans une interview à la chaîne privée Dream 2 être l'administrateur de la page Facebook «Nous sommes tous Khaled Saïd», du nom d'un jeune homme battu à mort par la police, un mouvement qui a joué un rôle-clé dans le lancement du mouvement.

D'après des photographes de l'AFP place Tahrir, le nombre de manifestants a dépassé celui des rassemblements précédents. Selon des témoins à Alexandrie, il en était de même dans la grande ville du nord de l'Égypte.

«Le peuple veut faire tomber le régime», pouvait-on lire sur des banderoles au Caire.

«Aucune de nos demandes n'a été entendue», a expliqué Mohammad Nizar, 36 ans. «Ils ont annoncé une augmentation des salaires. Ils essaient de nous leurrer».

Dans une tentative d'apaisement, M. Moubarak, 82 ans et presque 30 ans à la tête de l'État, a annoncé la création d'une commission pour amender la Constitution, dans le cadre du «dialogue national» entamé dimanche entre le pouvoir et l'opposition dont, pour la première fois, les Frères musulmans, jusqu'ici bête noire du régime.

Lundi, il a promis une hausse de 15% des salaires des fonctionnaires et des retraites à partir du 1er avril, et a demandé la formation d'une commission d'enquête sur les violences du 2 février place Tahrir, où des affrontements meurtriers ont opposé pro et anti Moubarak.

L'opposition conteste notamment les articles de la Constitution liés aux conditions très restrictives de candidature à la présidentielle et au mandat présidentiel.

Mais les mesures politiques -dont l'annonce le 1er février du président qu'il ne briguerait pas un sixième mandat en septembre- n'ont pas apaisé la colère des protestataires qui exigent toujours son départ immédiat.

Le vice-président Omar Souleimane a assuré devant la presse que le président était «en faveur d'une véritable passation du pouvoir».

Mais, a-t-il ajouté, il s'agit de s'intéresser, non pas à «la personne» de celui qui va lui succéder, «mais (...) à ses orientations» politiques, un message qui semble viser notamment les Frères musulmans.

Le gouvernement continuera de parler avec les factions politiques et les jeunes manifestants, a-t-il poursuivi, affirmant qu'«il n'y aura ni la fin du régime, ni un coup d'État, car cela signifierait le chaos».

Le vice-président a également mis en garde contre des appels à la «désobéissance civile», jugeant de telles initiatives «extrêmement dangereuses pour la société». «Nous ne le tolérerons pas», a-t-il insisté.

Mardi, les États-Unis ont appelé les autorités égyptiennes à prendre des mesures pour aboutir à des réformes «irréversibles» dans le cadre de la transition politique, tandis que la France appelait à «l'émergence des forces démocratiques» pour une transition qui doit se dérouler «sans violence et aussi rapidement que possible».

L'ambassadeur russe à l'ONU Vitaly Churkin, a lui souhaité que le Conseil de sécurité de l'ONU se rende en visite au Moyen-Orient pour tenter de lever l'impasse au processus de paix et évaluer les troubles en Égypte et dans les autres pays de la région.

De son côté, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a estimé que le peuple égyptien était frustré et attendait des «réformes audacieuses».

M. Souleimane a rejeté les «ingérences étrangères» dans les affaires de l'Égypte, sans nommer un pays en particulier, soulignant qu'elles étaient «plutôt une invitation à davantage de chaos».

Au Caire, de nouveaux magasins et restaurants ont rouvert et de nombreux Cairotes reprenaient le chemin du travail. Le couvre-feu reste en vigueur dans la capitale, à Alexandrie et Suez (est) de 20h00 locales à 06h00.

Depuis le 3 février, les manifestations se déroulent le plus souvent dans le calme.

Des heurts entre policiers et manifestants pendant les premiers jours de la contestation, puis entre militants pro et anti Moubarak le 2 février, ont fait près de 300 morts, selon l'ONU et Human Rights Watch, ainsi que des milliers de blessés.