Lorsque les islamistes ont pris le pouvoir dans le nord du Mali, des dizaines de milliers de personnes ont fui. La plupart se sont réfugiées chez des amis; d'autres, moins nombreux, ont échoué dans un camp à Mopti. Notre journaliste l'a visité. Compte rendu.

Une grande cour brûlée par le soleil, des tentes plantées en désordre dans la terre desséchée, des chèvres qui broutent les feuilles des arbres rachitiques, des cordes à linge qui plient sous le poids des vêtements mouillés, des hommes qui tuent le temps en écoutant le match de foot qui oppose le Mali au Nigeria.

Le camp des déplacés de Mopti accueille 587 personnes. Il est situé près de l'ancienne ligne de front qui séparait le Nord du Sud. C'est là que plusieurs Maliens ont trouvé refuge lorsque les islamistes se sont emparés des villes du Nord. La plupart vivent ici depuis huit ou neuf mois.

Hadizatou Maïga lave son fils avec une énergie toute malienne. Il est assis par terre à côté d'un seau rempli d'eau froide. Hadizatou plonge son éponge dans l'eau savonneuse et frotte son fils avec de grands gestes de la main. Le petit ferme les yeux et écoute sa mère raconter leur fuite de Gao. C'était en avril 2012.

«Les islamistes tiraient partout, ils rentraient chez les gens et prenaient leurs biens. J'ai décidé de fuir avec ma mère et mes enfants. On a quitté la maison vers 4h du matin. Je n'avais rien apporté, sauf des bouteilles d'eau. On courait. Je disais aux enfants de ne pas pleurer, surtout au petit de 3 ans, sinon les islamistes nous attraperaient et nous menaceraient avec leurs fusils.»

Hadizatou a franchi plusieurs kilomètres, la peur au ventre, traînant derrière elle ses cinq enfants. Elle a dû abandonner sa mère chez des amis, elle était trop faible pour les suivre dans leur course folle.

À 7h, elle a embarqué dans un camion qui transportait de nombreux réfugiés. Le chemin jusqu'à Mopti a duré 24 heures. Ils sont arrivés au camp épuisés, mais soulagés.

Hadizatou vit dans une tente. Par terre, des nattes, des couvertures roulées en boule, un peu de linge et quelques casseroles. C'est tout ce qu'elle possède.

Certains vivent dans des tentes, d'autres dans des conteneurs. Devant la porte d'un conteneur, cinq jeunes boivent du thé. Ils n'écoutent pas le match de foot, car le Nigeria a déjà compté trois buts et le Mali aucun. «C'est foutu», dit Ibrahim, 18 ans.

Les jeunes ne vont pas à l'école et ils ne travaillent pas. Ils viennent de Tombouctou. Le désoeuvrement les tue à petit feu.

Dans le conteneur, il n'y a ni lumière, ni lampe de poche, ni bougie. La nuit, Ibrahim grelotte. Sa natte ne le protège pas du froid mordant. Le jour, la température grimpe et le conteneur se transforme en four.

Ibrahim vit ici depuis neuf mois.

Une clameur soulève le camp, le Mali vient de compter un but. Le premier. C'est 3 à 1 pour le Nigeria.

La vie n'est pas toujours facile dans le camp. Six cents personnes provenant d'ethnies, de tribus et de clans différents se disputent un minuscule territoire, explique Boubacar Traoré. Avec d'autres déplacés, il a créé un comité pour régler les conflits. «Hier, deux familles sont venues me voir. Elles s'étaient brouillées parce qu'une femme avait jeté ses ordures devant la porte du voisin. Les femmes se disputent pour l'eau, le ménage des aires communes et les enfants.»

Boubacar vit dans le camp depuis le 7 avril 2012. Il a 56 ans. Il en impose avec sa large carrure et ses lunettes fumées qui ne le quittent pas même si le soleil décline. Il a fui les islamistes qui voulaient l'enrôler de force, car il est mécanicien.

«J'ai refusé, je ne suis pas un rebelle, je n'ai pas la même mentalité qu'eux.»

Dans le camp, le temps est figé, immobile. Jour après jour, les hommes répètent les mêmes gestes.

«On ne fait rien, dit Boubacar. On vit de dons. On fait du thé le matin et on fait du thé le soir. C'est dur pour la fierté d'un homme.»

Le camp n'est pas propre. «Les enfants souffrent d'infections de la peau, de problèmes respiratoires aigus et de paludisme», explique Fatimata Traoré, une sage-femme qui travaille à l'infirmerie.

Peu de déplacés vivent dans le camp. La plupart ont trouvé refuge dans leur famille ou chez des amis. Selon le commandant Sékou Dramé, 42 000 personnes se sont déplacées vers le sud après la prise du pouvoir par les islamistes.

Ce déplacement massif de population a exacerbé la crise alimentaire.

«Le pays vivait déjà une crise grave depuis deux ans», note le porte-parole de la Croix-Rouge, Simon Schorno.

Les déplacés attendent le retour de la paix, la vraie, les yeux rivés sur les progrès des armées française et malienne. Ils sont prêts à plier bagage et à retourner chez eux.

En attendant, le Mali a perdu. Le match s'est terminé 4 à 1. Déçus, les déplacés ont haussé les épaules. Une défaite de plus.