Pendant 10 mois, les islamistes purs et durs d'Ansar Dine ont terrorisé les 55 000 habitants de Tombouctou. Ils fouettaient, coupaient des mains, violaient des femmes et jetaient des gens en prison sans raison. Dix mois d'enfer, dix mois de cauchemar. Une ville entière prise en otage. La semaine dernière, les armées française et malienne ont chassé les islamistes. Libérés, les gens osent enfin parler. Témoignages.

Azahara est une des plus belles filles de Tombouctou. Teint foncé, traits fins, sourire angélique. Elle a 20 ans et elle s'est toujours promenée la tête haute dans les rues de la ville.

Lorsque les islamistes d'Ansar Dine ont pris le pouvoir, en avril 2012, elle a recouvert sa tête d'un grand foulard qui ne laissait apparaître que ses yeux foncés, où brillait une lueur de défi.

Ansar Dine patrouillait dans les rues en voiture ou à pied. Les hommes armés s'assuraient que les femmes se couvraient de la tête aux pieds, que les enfants n'écoutaient pas de musique, que les hommes laissaient pousser leur barbe, qu'ils ne parlaient pas aux femmes et qu'ils retroussaient le bas de leurs pantalons pour qu'il ne touche pas la terre, car c'était impur.

Les islamistes se promenaient avec leur longue tunique et leurs kalachnikovs, à la recherche de la moindre infraction au code islamique. Personne n'osait les défier, même lorsqu'ils fouettaient des femmes et des enfants sur la grande place du marché ou coupaient les mains des voleurs. Souvent, ils entraient dans les maisons, houspillaient les gens ou cherchaient les femmes en âge de se marier.

Ces patrouilles étaient dirigées par le chef de la police islamique, Mohammed Mossa, la terreur de Tombouctou.

En novembre, cinq hommes ont arrêté leur camion devant la maison d'Azahara. Ils l'ont accusée de ne pas se couvrir convenablement. Ils l'ont jetée dans la boîte de leur camionnette, puis ils ont filé jusqu'à la «prison» des femmes.

La prison n'était qu'un petit local qui jouxtait la Banque du Mali, où était installé un guichet automatique. L'espace est exigu, à peine six pieds sur trois. Parfois, 12 femmes s'y entassaient pendant des jours.

Azahara a été chanceuse: lorsqu'elle est arrivée à la prison, il n'y avait personne. Elle avait peur, terriblement peur. Elle s'est débattue et son pied a frappé la porte de verre, qui s'est fracassée. Un morceau de vitre a profondément entaillé son mollet. Elle saignait, sa jambe était enflée. Elle a fait une crise et elle s'est évanouie. Les hommes l'ont amenée à l'hôpital. Un médecin a cousu rapidement sa plaie, puis les islamistes l'ont ramenée dans la minuscule prison.

Azahara se tait et fixe le sol. Son père la pousse gentiment. «Tu dois tout raconter», lui dit-il. Sa mère la couve des yeux.

Azahara hésite, puis reprend le fil de son récit. Elle est restée enfermée pendant deux jours et deux nuits. Il n'y avait pas de toilettes. L'odeur de ses excréments la prenait à la gorge. Elle avait des crises de panique. Des voisins lui apportaient de l'eau en cachette. Ses parents sont venus voir Mohammed Mossa. Ils l'ont supplié de libérer leur fille, mais il a refusé.

La deuxième nuit, la mère et la tante d'Azahara se sont couchées près de la grille de la prison et elles ont tenu la main d'Azahara à travers les barreaux.

Au petit matin, cinq hommes les ont chassées en criant: «Dégage!» Puis ils ont pris Azahara, ils l'ont amenée à l'intérieur de la banque et ils l'ont violée, un après l'autre, longuement, brutalement.

Ils l'ont ensuite libérée.

Azahara était vierge.

Les gens de Tombouctou ont tous une histoire d'horreur à raconter. Fatima Cissé, 13 ans, a reçu 15 coups de fouet parce que son voile ne cachait pas complètement son visage. Les islamistes l'ont amenée à la prison, où elle est restée pendant deux jours, en compagnie de 12 autres femmes, sans boire ni manger et sans avoir accès à une toilette. L'odeur était insupportable. Elle a reçu 15 coups de fouet.

Quatre hommes, assis sur le trottoir en face de la prison, boivent du thé. Ils secouent la tête lorsque je leur parle de Mohammed Mossa, la terreur de Tombouctou.

«Les islamistes étaient armés et nous, on n'avait que nos mains nues. On ne pouvait rien faire», explique Hamey Cissé.

«Tout le monde avait peur de Mohammed Mossa, le cauchemar de Tombouctou», ajoute son ami Kader Touré.

«On a manifesté trois fois, mais les islamistes nous ont tiré dessus», ajoute Hamey Cissé. Il sort son cellulaire et me montre une vidéo. Des hommes et des femmes marchent dans la rue, puis les islamistes tirent des coups de feu; la foule se disperse en criant.

Les gens ont appris à se taire. La peur était forte, puissante. Tombouctou était pris en otage, perdu au fond du Sahara.

Le maire, Halle Ousmane, n'a pas fui, contrairement à la plupart des notables. Il est resté et il a vu. Il savait que les femmes étaient emprisonnées dans une pièce à peine plus grande qu'une salle de bains et qu'elles étaient violées. Il savait aussi que des enfants de 10 ans étaient fouettés parce qu'ils écoutaient de la musique sur un cellulaire.

Lui aussi a appris à se taire.

Salaka Jitay fréquentait un homme marié. Elle savait qu'elle risquait gros. Si les hommes d'Ansar Dine l'apprenaient, elle serait fouettée et son amant, tué.

Le 31 octobre, son amant l'attendait devant sa maison. Quatre hommes d'Ansar Dine ont surgi de l'obscurité. L'amant a eu le temps de s'enfuir en moto. Il a crié à Salaka: «Fuis! Ils sont là!» Mais elle n'a rien entendu. Lorsqu'elle est sortie sur le pas de sa porte, elle a vu les quatre islamistes.

Elle a eu un moment de panique. «Les idées se bousculaient dans ma tête. Je savais qu'ils me fouetteraient. Les islamistes fouettent, tuent ou coupent les mains.»

Ils l'ont amenée à pied jusqu'à la prison des femmes. Ils l'insultaient et lui donnaient des taloches. Tombouctou était privé d'électricité, les rues étaient plongées dans un noir d'enfer.

Salaka a passé une nuit dans la prison des femmes. Le lendemain, elle a comparu devant trois juges qui l'ont écoutée, puis condamnée sur-le-champ à 95 coups de fouet.

À midi, les islamistes l'ont amenée au grand carrefour près du marché. La place était bondée et le soleil brûlait le sable qui recouvre les rues. Dans la foule, Salaka a reconnu des amis et des voisins qui la regardaient en silence.

«J'ai eu honte», dit-elle. Seul un voile transparent recouvrait le haut de son corps. C'est là, au milieu du carrefour, que les islamistes l'ont fouettée, 95 fois. Elle a crié, pleuré, hurlé.

Certains criaient de joie devant le spectacle, mais la plupart des gens se taisaient ou détournaient le regard.

Salaka a été malade pendant deux semaines, une fièvre tenace la brûlait. Elle a patiemment attendu le départ des islamistes pour reprendre le fil de sa vie. Aujourd'hui, ils ont quitté la ville. Cette semaine, elle a parlé à son amant, qui s'est réfugié à Bamako.

«Il revient, dit-elle. On s'aime.»

Les islamistes n'ont pas réussi à les séparer.

Azahara, elle, essaie de chasser la terreur qui l'envahit dès qu'elle pense au viol. Elle a repris la danse, sa passion, et elle se promène de nouveau la tête haute dans les rues de Tombouctou.