Lorsqu'il posera sa main sur la Bible d'Abraham Lincoln, mardi, Barack Obama ne remarquera sans doute pas Régine Leroy dans la mare humaine qui déferlera sur Washington. Mais la résidante de Saint-Léonard ne s'en fait pas: elle a été si emballée par l'élection du premier président noir qu'elle a parcouru 800 km pour assister à son rendez-vous avec l'histoire.

«Le nombre de gens qui ont fait des statistiques pour démontrer que les Noirs, on a un petit cerveau, je me demande ce qu'ils pensent aujourd'hui, confie la femme de 32 ans, tandis que les montagnes enneigées de l'État de New York défilent dans sa fenêtre. Des Blancs, des Noirs, tout le monde a voté pour lui.»

Régine Leroy et ses copines Yamilée, Myriam, Maureen, Joëlle et Maggalie ont passé un an rivées à leur petit écran, suivant pas à pas l'ascension de leur héros jusqu'à la présidence. Le soir du 4 novembre, elles ont pris une décision solennelle: elles feraient tout pour être présentes lorsqu'il deviendra président.

Elles font partie d'un groupe de 42 Montréalais qui a pris la route de Washington, lundi matin. Un autobus hétéroclite qui rassemble des Noirs et des Blancs, des jeunes et des retraités, un père et son fils, même un étudiant australien. Ils ont tout lâché pendant 48 heures afin de voir de leurs yeux le moment historique où Barack Obama, ce travailleur communautaire aux origines modestes, deviendra l'homme le plus puissant du monde.

«Je travaille dès mon retour, mercredi matin, mais ce n'est pas grave», confie Joëlle Pierre, comptable dans un cabinet d'avocats. Par les temps qui courent, son employeur n'autorise aucun congé car c'est la fin de l'année financière. Mais pour elle, il a fait exception. Une chance: elle n'aurait raté la cérémonie historique pour rien au monde.

L'autocar a quitté Montréal à 6h30 ce matin, et fait 12 heures de route pour arriver à Wilmington au Delaware. De là, tout le monde se réveillera à 5h30 mardi matin pour franchir les 150 km qui les séparent de la capitale. Le groupe reprendra la route le soir même, car plusieurs rentrent au travail mercredi matin.

Pourquoi tant d'enthousiasme pour un politicien américain? Pour l'espoir qu'il suscite, surtout chez les Noirs, rétorque Maggalie Prosper, qui habite le Plateau-Mont-Royal.

«Je suis fière et je l'ai toujours été, dit-elle. Mais pour la jeunesse, c'est vraiment inspirant: quand tu regardes les jeunes Noirs, on dirait que le seul moyen qu'ils ont d'avoir du succès, c'est dans le sport ou dans la musique. Maintenant, tout devient possible.»

Les autorités attendent plus de deux millions de personnes du monde entier à Washington pour la cérémonie d'investiture de Barack Obama. Des dizaines de Québécois et de Canadiens se mêleront à la foule.

Emily Hendren, qui étudie en gestion à l'Université McGill, doute que le nouveau président améliore le sort des Canadiens, puisqu'il a ouvertement mis en cause l'accord de libre-échange.

«Mais il inspire la nouvelle génération, affirme-t-elle. C'est quelque chose qui manque au Canada. Nous n'avons personne qui soit capable de mobiliser les jeunes et les inciter à aller voter. Même s'il est américain, Barack Obama représente le changement partout au monde.»

Coup de tête

Simon Lafortune, lui, piaffe d'impatience. Cet élève de secondaire 5 n'est pas allé à l'école lundi. Il a plutôt pris place dans l'autocar nolisé, à la suite d'un coup de tête de son père.

Le Québec a eu beau vivre deux campagnes électorales, l'automne dernier, c'est avec les élections américaines que ce jeune homme de 16 ans a attrapé la piqûre de la politique. Depuis qu'il a découvert Barack Obama, il a commencé à lire les journaux. Ses travaux scolaires portent sur son idole, ou encore sur l'histoire des Noirs américains.

«Quand j'ai su que quelqu'un à la peau noire pouvait devenir président des États-Unis, j'ai trouvé ça incroyable, confie Simon Lafortune, qui entamera en septembre des études en sciences humaines. C'est quelque chose qui n'arrive pas souvent. J'ai commencé à suivre ça et je suis devenu un gros fan d'Obama.»

Lorsque son père a eu vent du voyage organisé, dimanche, il a pris une décision sur-le-champ. Ce consultant en environnement a annulé ses rendez-vous du début de la semaine, et il a dit à son fils de faire ses valises.

«C'est un peu fou! lance François Lafortune. J'ai plein de rendez-vous, mais j'ai repoussé tout ça.»

L'organisatrice du voyage, Ruth Cohen, admet avoir eu du mal à trouver un hôtel pour loger le groupe. Certains établissements avaient augmenté leurs prix pour l'occasion, d'autres affichent complet depuis longtemps.