Barack Obama a trouvé sa voie à Chicago dans les années 80. En pleine quête d'identité, il est devenu organisateur communautaire dans les quartiers noirs et défavorisés de la métropole du Midwest. Notre journaliste a suivi les traces laissées là-bas par le jeune sénateur démocrate. Il a découvert que son parcours atypique est à la source de ses succès politiques.

Ce n'est pas le genre de quartier où vous voudriez parfaire votre éducation.

Pour y parvenir, vous avez filé vers le sud pendant une bonne vingtaine de minutes à partir du centre de Chicago. La réflexion des gratte-ciel dans votre rétroviseur s'est atténuée. Vous avez ensuite vu poindre les trop nombreux prêteurs sur gages et les autres établissements où l'on se dit ravi de vous «avancer de l'argent».

Çà et là, vous avez aperçu divers commerces et édifices à l'abandon, aux fenêtres parfois brisées, souvent placardées. Et quelques passants, qui défiaient tant le froid glacial que la violence. Ce quartier est l'un des plus dangereux de la ville.

Pourtant, c'est justement ici, dans le secteur le plus défavorisé du «South Side» de Chicago, que Barack Obama dit avoir reçu «la meilleure éducation» de sa vie.

C'est ici, renchérit le révérend Alvin Love, qu'est "né" le candidat à la présidence qu'on connaît aujourd'hui. Celui qui, grâce à ses aptitudes de rassembleur et son message de changement, pourrait devenir le premier président noir des États-Unis.

«C'est ici qu'il a trouvé sa vocation, qu'il a découvert à quoi pourraient servir ses dons», explique ce révérend noir vêtu d'un complet sombre, dont la chaleureuse voix de baryton rappelle celle du politicien démocrate.

Trop idéaliste

L'homme de foi nous accueille dans une petite salle de conférence coincée entre la chapelle et le sanctuaire de son église. Il nous raconte sa première rencontre avec Obama comme si elle datait d'hier.

«Il est arrivé en marchant, juste là», dit-il en montrant les larges fenêtres percées dans la façade de l'édifice en brique. «Je me suis dit : combien d'argent va-t-il me demander, ce gars ? Assez pour s'acheter un hamburger, peut-être ?», ajoute le révérend en s'esclaffant. Il allait se rendre compte assez vite qu'Obama n'était pas là pour mendier.

C'était au milieu des années 80. Le futur candidat à la présidence venait tout juste de s'établir à Chicago. Il avait 24 ans et, en poche, un diplôme de sciences politiques de l'Université Columbia à New York.

Après avoir quitté les bancs d'école, il avait travaillé au sein d'une firme new-yorkaise qui aidait les entreprises américaines à faire des affaires à l'étranger. Or, de son propre aveu, il était trop idéaliste pour un tel boulot.

Il a donc posé sa candidature pour un poste d'organisateur communautaire à Chicago. Son but : prendre la tête du Developing Communities Project, mis sur pied pour aider les déshérités à se regrouper et réclamer du changement.

Pour obtenir un centre d'emploi dans le quartier, par exemple. Ou un programme de désamiantage des logements sociaux. Ou pour prévenir la consommation de drogue chez les jeunes, explique le révérend Love.

«Il est certain que ce fut une éducation exceptionnelle. Il a travaillé avec des gens qui n'avaient presque rien et leur a montré comment obtenir ce qu'ils voulaient en utilisant ce qu'ils avaient», résume-t-il.

Kenya + Kansas = Obama

Flashback : août 1961. Naissance d'Obama à Hawaii. Sa mère, Ann Dunham, est une Américaine blanche, originaire du Kansas. Son père, Barack Obama père, est un étudiant africain venu du Kenya. La grand-mère paternelle de Barack Obama fils habite d'ailleurs toujours ce pays africain.

Le jeune Barack a 2 ans lorsque son père abandonne la famille et retourne en Afrique. Quelques années plus tard, Ann Dunham tombe amoureuse d'un Indonésien. Elle le suit. Obama passera quatre ans dans ce pays d'Asie. Dans sa biographie, Dreams from My Father, il dit avoir été frappé par la pauvreté. Avoir appris là-bas que le monde est «violent, imprévisible et souvent cruel».

Il retourne à Hawaii à l'âge de 10 ans, pour vivre avec ses grands-parents maternels et étudier à la prestigieuse école Punahou, ce qui l'a mené à l'Occidental College de Los Angeles. Sa crise d'adolescence est doublée d'une quête d'identité. Un cocktail explosif. Il consomme, à l'époque, marijuana et cocaïne. Un dérapage qui revient régulièrement le hanter.

Il se cherchait encore lorsqu'il a abouti à Chicago. C'est un peu ce qui a poussé Jerry Kellman à le recruter. Cet homme qui ressemble à s'y méprendre à un professeur d'université, avec ses petites lunettes rondes et son ton didactique, avait besoin d'un organisateur communautaire.

«Il avait été un outsider toute sa vie. Même lors de ses études à Hawaii: il était l'un des seuls Africains-Américains. Alors je me disais qu'il allait s'identifier aux outsiders. Aux pauvres. Aux victimes de discrimination raciale», raconte-t-il.

Le salaire annuel était de 10 000$, assorti d'une allocation de 2000$ pour acheter une automobile. Trois fois rien pour un diplômé de Columbia. Gregory Galluzzo, patron de Kellman, estimait qu'Obama jetterait rapidement l'éponge. «J'ai pensé : il est si bien instruit et il a tant de classe, c'est certain qu'une banque quelconque lui offrira un boulot à 300 000$ et qu'il ira s'établir en banlieue.»

Rêves américains

Mais Obama a persisté. Il a passé trois ans à aider les plus pauvres de Chicago. De l'avis de ceux qui l'ont côtoyé à l'époque - et qui en parlent tous avec une admiration évidente - il s'agit d'une période charnière de sa vie.

«À mon avis, il a commencé à développer ici le cadre pour sa campagne actuelle. Son travail était de rassembler différents types de personnes. Et il était très bon pour faire ça. Encore aujourd'hui, il croit possible de rassembler différents types de personnes», dit Kellman, rencontré dans le presbytère d'une église du nord-ouest de Chicago.

«S'il n'était pas venu ici, il aurait poursuivi une carrière plus facile, mais il ne se serait pas rendu là où il est aujourd'hui», ajoute-t-il. «C'est ici qu'il est tombé amoureux des Afro-Américains et, par le fait même, tombé amoureux de lui-même», renchérit Galluzzo.

Le jeune nomade a pris racine à Chicago. Il a brièvement quitté la ville pour étudier le droit à Harvard, mais y est revenu aussitôt. Pour de bon. Il y a rencontré, Michelle, sa femme, mère de ses deux jeunes filles, en 1988. Dans un cabinet d'avocats.

Il a par la suite commencé à enseigner le droit à l'Université de Chicago. Mais il était «impatient avec la vie», comme il l'a lui-même écrit. Il s'est donc lancé en politique en 1996. Il avait 35 ans et a été élu au Sénat de l'Illinois.

Huit ans plus tard, après un discours remarqué à la convention démocrate de Boston, il faisait son entrée au Sénat américain, à Washington. Sa carrière politique prenait une trajectoire météorique.

Prodigieux conteur, Obama puise abondamment dans son passé pour alimenter ses discours. Il passe parfois plus de temps à exposer sa vie que son programme politique. À expliquer à ses partisans qu'il ne devrait pas être devant eux aujourd'hui car la vie semblait lui réserver un avenir plus sombre.

C'est ce qui lui permet de parler d'espoir de façon plus authentique que la plupart de ses rivaux. Et c'est ce qui en fait, aux yeux de plusieurs, l'incarnation du rêve américain. Un atout qui pourrait bien lui permettre d'aller au bout de ses propres rêves.

Les grandes dates de sa vie

Août 1961 Naissance à Hawaï

1985 Il devient organisateur communautaire à Chicago

1990 Il est le premier Afro-Américain à présider la Harvard Law Review

1992 Mariage avec Michelle Robinson

1996 Il est élu au Sénat de l'Illinois

1999 Naissance de sa première fille, Malia Ann Obama

2000 Il se présente à la Chambre des représentants du Congrès américain. Il est battu.

2001 Naissance de sa deuxième fille, Natasha Obama

Juillet 2004 Discours remarqué à la convention démocrate de Boston

Novembre 2004 Il est élu au Sénat des Etats-Unis

10 février 2007 Lancement de sa campagne présidentielle

4 novembre 2008 Il est élu Président des États- Unis