Des médias ont-ils mis en danger par leur couverture de la prise d'otages la vie de personnes cachées dans l'Hyper Cacher où un djihadiste a tué quatre personnes le 9 janvier? La justice française a en tout cas ouvert vendredi une enquête préliminaire après la plainte de six otages.

Dans cette plainte contre X dont l'AFP a eu connaissance, les six plaignants reprochent en particulier à la chaîne privée d'information continue BFMTV d'avoir révélé pendant la prise d'otages que des clients étaient dissimulés dans la chambre froide du supermarché casher.

Amédy Coulibaly, l'un des trois djihadistes ayant mené les attentats de Paris, avait tué trois clients et un employé juifs dans le supermarché, ainsi qu'une policière municipale la veille.

Lors de la prise d'otages, la vie de ses clients «aurait été exposée si Coulibaly avait eu connaissance en temps réel de l'information diffusée par BFMTV», deux heures avant l'assaut, sur le fait qu'ils étaient dissimulés dans la chambre froide, a notamment dénoncé Me Patrick Klugman.

BFMTV a réagi vendredi dans un communiqué, disant «regrette[r] que la mention de cette information ait pu faire craindre aux otages, ainsi qu'à leurs proches, que leur vie était en danger».

La chaîne d'information en continu souligne toutefois que, après l'annonce en direct de «la présence d'une femme cachée à l'intérieur de l'Hyper Cacher», «immédiatement, la rédaction en chef a estimé que cette information ne devait pas être diffusée».

«Elle n'a donc, par la suite, jamais été répétée à l'antenne ou affichée à l'écran», ajoute la chaîne.

«Qui est responsable?» 

«On a reconnu très vite que la phrase de l'un de nos journalistes [...] sur la présence d'une otage dans la chambre froide était inopportune, que c'était une erreur», avait déjà commenté, le 26 mars, Hervé Béroud, directeur de l'information de BFMTV.

En février, il avait affirmé que le journaliste n'avait donné l'information sur l'otage caché qu'après un contact avec une personne du RAID, l'unité d'élite d'intervention de la police. Ce dernier lui aurait assuré que l'otage n'était plus en danger car les forces d'intervention avaient pris position près de la chambre froide.

BFMTV n'est pas la seule visée par cette plainte.

«De nombreux autres médias manquaient aux règles les plus élémentaires de prudence, d'une part en retransmettant en direct l'évolution des opérations des forces de l'ordre et d'autre part» en annonçant que l'assaut était donné en Seine-et-Marne (région parisienne) contre les autres auteurs des attentats, les frères Kouachi, alors que Coulibaly retenait des otages à Paris, selon les plaignants.

Les plaignants s'appuient notamment sur des communiqués du gendarme de l'audiovisuel, le CSA, qui, le 11 février, avait adressé à 16 médias 21 mises en demeure.

La mise en danger de la vie d'autrui est passible d'un an de prison et 15 000 euros d'amende.

Elle implique une «violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement».

«La question est de savoir qui est responsable de ce délit? La personne morale? La direction de l'information? Le journaliste?», s'interroge Me Klugman.

Pour plusieurs avocats spécialistes du droit de la presse, il n'existe pas de précédent à cette action.

«C'est une qualification juridique tout à fait contestable», estime Me Christophe Bigot, soulignant que, «par définition, un journaliste n'a pas d'obligation de prudence ou de sécurité».

L'avocat estime que l'affaire ne peut se poser que dans un cadre déontologique, comme celui du CSA, soit devant une juridiction civile, et non pénale, une partie réclamant à l'autre des dommages et intérêts.

Par ailleurs, une autre enquête a été ouverte, le 30 janvier, en lien avec la divulgation le soir du 7 janvier sur un compte Twitter, des noms de trois personnes recherchées par la police après les attentats commis au siège de Charlie Hebdo, dont les frères Kouachi.