Dimanche dernier, des chefs d'État du monde entier ont affiché une image d'unité dans les rues de Paris. Mais les photos qui ont fait le tour du monde, elles, ne présentent pas toutes la même réalité... Décryptage.

La photo a fait la une de la majorité des médias dans le monde, dimanche et lundi. Y compris celle du journal HaMevaser, en Israël. Tous les chefs d'État présents apparaissent bien alignés, bras dessus, bras dessous, serrés autour du président français François Hollande.

Tous les chefs d'État?

Presque.

Mais où est passée la chancelière allemande Angela Merkel? Et la mairesse de Paris, Anne Hidalgo? Et la reine Rania de Jordanie? Et la première ministre danoise, Helle Thorning-Schmidt? Et la présidente de la Confédération suisse, Simonetta Sommaruga? Et l'Italienne Federica Mogherini, représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité?

Disparues de la photo... Comme au temps de l'Union soviétique, remarque en riant le professeur d'histoire Yakov Rabkin, de l'Université de Montréal. «Mais ça n'a rien d'inhabituel pour ce journal. Ce qui est inhabituel, c'est que les gens l'aient remarqué, cette fois-ci», dit M. Rabkin, qui se trouve justement en Israël en ce moment pour la promotion de son dernier livre.

S'adressant à des lecteurs de la communauté juive orthodoxe (environ 10% de la population d'Israël), HaMevaser interprète les règles de «modestie» très strictes à l'endroit des femmes en proscrivant toutes photos d'elles. D'autres publications du genre ont déjà appliqué la même médecine à des photos célèbres: en 2011, un magazine juif orthodoxe new-yorkais avait retouché la photo montrant le président Obama et ses collaborateurs pendant l'opération militaire qui a conduit à la mort d'Oussama ben Laden en effaçant... Hillary Clinton. Rien de moins.

Si ça peut consoler ces dames présentes à la marche républicaine, les politiciennes israéliennes subissent cette invisibilité tous les jours dans la presse orthodoxe. Ainsi, ces journaux citent l'ancienne ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, mais ne la montreront jamais. «On parle souvent de "la" communauté juive, alors qu'en fait, on devrait parler "des" communautés juives, dit M. Rabkin. La communauté orthodoxe, c'est un monde à part...»

Jouer du coude

Les retouches d'HaMevaser sont grossières, mais le journal n'est pas le seul à avoir soigneusement choisi de présenter sa version de la marche républicaine parisienne.

Dans les pays dont les chefs d'État se trouvaient au premier rang, les photos diffusées par la presse nationale sont évidemment celles où le représentant est à son avantage. La presse allemande a ainsi bien mis en valeur la chancelière Angela Merkel, à la gauche du président français François Hollande. En Jordanie, le Jordan Times a lui aussi choisi une photo où le roi Abdallah II et la reine Rania apparaissent clairement au premier plan, tête penchée en signe de recueillement.

Mais c'est surtout la présence du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et du président palestinien Mahmoud Abbas, au premier rang du cortège, qui a été relevée partout dans le monde.

Durant la marche, raconte Haaretz, Benyamin Nétanyahou a joué du coude pour s'assurer une bonne place au premier rang. L'anecdote a d'ailleurs inspiré la création cette semaine d'un jeu vidéo appelé «Push the Bibi» (le surnom du premier ministre), dont le but est d'emmener au premier rang de la marche un personnage avec la tête du premier ministre. Le jeu porte le logo de l'aile jeunesse du parti d'un rival de M. Nétanyahou...

Mais pour bien paraître sur une photo, rien de tel qu'un cadrage judicieux. D'ailleurs, celui réalisé par l'entourage de Benyamin Nétanyahou et diffusé sur son compte Twitter n'est pas passé inaperçu: il apparaît bien au centre de la marche, et même légèrement devant François Hollande, avec un air déterminé. Et où est passé le président palestinien Mahmoud Abbas? Il ne reste de lui qu'un tout petit bout d'oreille, à la droite de la photo...