Les répercussions du mouvement « Je suis Charlie » ont atteint le Bénin, cette semaine, alors qu'un journaliste de la télévision nationale a fait une déclaration surprenante et audacieuse en plein bulletin de nouvelles de fin de soirée, lundi.

Alors qu'il évoquait la participation du président béninois Thomas Boni Yayi à la marche historique de la veille à Paris, le présentateur Ozias Souvounou a appelé le chef de l'État à appliquer chez lui la liberté d'expression qu'il prône à l'étranger.

« On aurait aussi aimé que pour aller au bout de cet engagement, le chef de l'État devienne aussi Charlie ORTB [Office de radiodiffusion et télévision du Bénin], a-t-il déclaré en direct. Charlie ORTB pour la liberté de presse sur le service public de l'audiovisuel au Bénin. »

Joint hier par La Presse à son domicile de Cotonou, Ozias Souvounou raconte ne pas avoir hésité, l'occasion étant trop belle pour la laisser passer. « J'ai pris une grosse respiration, j'étais déterminé. »

« C'est l'expression d'une frustration, d'un malaise profond. On ne nous permet pas de bien faire notre métier. »

- Ozias Souvounou, présentateur de nouvelles à la télévision nationale du Bénin

L'ancien enseignant, devenu journaliste il y a 10 ans, estime que la situation s'est détériorée depuis le début du second mandat du président Boni Yayi, en 2011. « Lorsqu'on veut lancer le débat, inviter des gens qui ont des opinions diverses, autres que celle du gouvernement, on reçoit un refus catégorique de nos patrons. »

CRAINTE DE REPRÉSAILLES

Reporters sans frontières a situé le Bénin au 75e rang de son classement mondial de la liberté de presse, en 2014, derrière Hong Kong, Haïti ou la République dominicaine, par exemple. « Le Bénin a régressé », note Émile Ouedraogo, de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM.

Le constat est paradoxal dans un pays « qui a fait ses preuves en matière de démocratie », estime le chercheur qui y voit néanmoins « une volonté de Yayi Boni d'affirmer son pouvoir » et de faire taire « tout ce qui va à l'encontre de ses velléités ».

Ozias Souvounou s'attend à des représailles. S'il n'a subi aucune réprimande pour l'instant, c'est selon lui parce que son geste a eu des échos partout au pays et même à l'étranger. « Ils ont peur, ils ont reçu des menaces de citoyens qui disent qu'ils vont manifester, que le pays allait s'embraser si jamais il m'arrive quoi que ce soit. »

La discussion téléphonique avec La Presse s'est terminée quand les ministres de la Justice et de l'Intérieur se sont présentés chez lui, en personne. Ils voulaient, dit-il, s'inviter au bulletin de nouvelles.

75

Le Bénin occupe le 75e rang du classement mondial sur la liberté de presse de Reporters sans frontières en 2014.