Les rescapés de Charlie Hebdo sortent mercredi leur premier numéro post-attentat croquant en Une Mahomet la larme à l'oeil après des attaques qui ont bouleversé la France, entrée en «guerre contre le terrorisme».

Une semaine après l'attaque contre son siège mercredi dernier (12 morts), le journal satirique a annoncé un tirage de trois millions d'exemplaires (contre 60 000 habituellement), dont des versions en langues étrangères (anglais, turc, espagnol...).

De l'Europe à l'Australie, de nombreux journaux dans le monde ont reproduit sans attendre cette Une d'un numéro exceptionnel, préparé dans les locaux du quotidien de gauche Libération. Au-dessus du croquis du prophète sur fond vert, la couleur de l'islam, le titre «Tout est pardonné» tranche avec la veine souvent féroce du journal.

Mais le portrait du prophète, tenant la pancarte «Je suis Charlie» brandie par près de quatre millions de manifestants dimanche dans les rues de France, provoque encore des remous dans le monde musulman.

La publication de ces dessins «insultants à l'égard du prophète» va «attiser la haine», a estimé mardi soir Al-Azhar, l'une des plus prestigieuses institutions de l'islam sunnite, basée en Égypte.

Une soixantaine de personnes ont manifesté mardi à Peshawar (nord-ouest du Pakistan) pour louanger les auteurs de l'attaque contre Charlie Hebdo, selon un journaliste de l'AFP sur place.

Une partie de Charlie Hebdo doit être distribué en Turquie avec le quotidien Cumhuriyet. Dans le passé, des ministres du gouvernement islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002 ont dénoncé les «provocations» de l'hebdomadaire français.

En France, les principales organisations musulmanes ont appelé la communauté «à garder son calme» et «respecter la liberté d'opinion» alors que le plus grand journal satirique français, Le Canard Enchaîné, a révélé avoir reçu des menaces le lendemain du massacre à Charlie Hebdo.

«Redoubler de vigilance» 

«La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical», mais «pas contre une religion», a affirmé mardi le gouvernement français.

Lors d'une émouvante cérémonie d'hommage aux trois policiers tués dans les attaques, le président François Hollande a demandé aux Français de «redoubler de vigilance» face à un danger «au-delà de nos frontières» comme «à l'intérieur».

A l'Assemblée nationale, ovationné debout par l'ensemble de la classe politique, le Premier ministre socialiste Manuel Valls a réitéré la fermeté française et lancé un appel appuyé à la «laïcité», référence cardinale du système français.

La gestion de la crise par MM. Hollande et Valls est saluée par 80% des Français, selon un sondage, alors que M. Hollande était le président le plus impopulaire depuis 1958.

Les dirigeants du monde entier «commencent à comprendre» la «menace claire et réelle pour la paix» représentée par «l'islam extrémiste», a fait écho le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, lors des funérailles à Jérusalem des quatre juifs tués vendredi à Paris dans l'attaque d'un supermarché casher.

Les trois Français Yohan Cohen, Philippe Braham et François-Michel Saada, et le Tunisien Yoav Hattab, abattus par le djihadiste Amédy Coulibaly, ont été portés en terre dans le cimetière du Har Hamenouhot (Mont du Repos), la plus grande nécropole de la ville.

Trois ans après la mort de trois enfants et un enseignant juifs par un autre djihadiste, Mohamed Merah, ces nouveaux décès ont renforcé en Israël le sentiment d'une France devenue terre hostile, incapable de protéger sa communauté juive, la troisième au monde après l'État hébreu et les États-Unis.

«L'antisémitisme n'a pas sa place en France», a assuré la numéro trois du gouvernement français, Ségolène Royal, présente aux funérailles, en renouvelant «la détermination sans failles» de son pays «à lutter contre toutes les formes d'actes antisémites».

Autre enterrement hautement symbolique: Ahmed Merabet, policier français musulman, victime des frères Saïd et Chérif Kouachi, les deux djihadistes tueurs de Charlie Hebdo, a été inhumé près de Paris. Son exécution en pleine rue, filmée et diffusée sur internet, avait suscité une énorme émotion.

Il est l'un des trois policiers tués par les djihadistes, avec Franck Brinsolaro, abattu dans l'attaque de Charlie Hebdo, et Clarissa Jean-Philippe, jeune policière municipale antillaise tuée par Amédy Coulibaly jeudi au sud de Paris, près d'une école juive.

«Clarissa, Franck, Ahmed sont morts pour que nous puissions vivre libres», a clamé François Hollande, devant leurs familles et collègues en pleurs.

200 incidents dans des établissements scolaires 

À l'Assemblée nationale, où les députés ont voté la poursuite de l'intervention militaire française en Irak contre le groupe État islamique, une minute de silence a été observée en mémoire des victimes des attentats.

Ils ont ensuite entonné tous ensemble l'hymne national - une première depuis 1918 - avant de réserver une ovation aux forces de l'ordre.

Manuel Valls a appelé à prendre «des mesures exceptionnelles» face à l'extrémisme, mais «jamais des mesures d'exception», récusant l'idée d'une législation d'urgence sur le modèle du Patriot Act américain.

Ce dispositif, voté aux États-Unis dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, avait été durement critiqué ensuite pour ses atteintes aux libertés civiques.

M. Valls a annoncé la création d'ici la fin de l'année de «quartiers spécifiques» dans les prisons pour isoler les détenus djihadistes afin de prévenir tout prosélytisme. Deux des djihadistes des attentats de Paris, Amédy Coulibaly et Chérif Kouachi, avaient basculé en prison dans l'islamisme radical.

Entre 3000 et 5000 Européens sont partis faire le djihad dans des pays comme la Syrie et ils pourraient représenter une menace de retour chez eux, selon le directeur d'Europol, Rob Wainwright.

Plusieurs condamnations pour apologie du terrorisme ont été prononcées ces derniers jours contre des personnes qui avaient salué les attentats de la semaine dernière.

Par ailleurs, le ministère de l'Education a indiqué dans la nuit de mardi à mercredi que quelque 200 incidents liés aux attentats s'étaient produits dans des écoles, collèges et lycées, dont la moitié liés à la minute de silence du 8 janvier, au lendemain de l'attaque meurtrière contre Charlie Hebdo.

Pour rassurer la population et parer à la menace de nouveaux attentats, le gouvernement français a mobilisé près de 15 000 policiers et militaires. Mission: protéger tous les «lieux sensibles du territoire», avec une sécurisation particulière des 717 écoles et lieux de culte juifs du pays.

La communauté musulmane, inquiète elle aussi d'une recrudescence d'actes islamophobes, a réclamé une protection renforcée des mosquées.