L'un est un djihadiste bien connu des services antiterroristes français, l'autre s'est entrainé au maniement des armes au Yémen: le parcours des frères trentenaires Chérif et Saïd Kouachi, traqués dans l'enquête sur l'attentat contre Charlie Hebdo, commence à se préciser.

Le passé tumultueux des deux hommes leur valait d'avoir leur nom inscrit «depuis des années» sur la liste noire américaine du terrorisme, selon une source américaine.

L'ex-avocat de Chérif --ancien détenu connu des services antiterroristes français mais qui n'était pourtant pas perçu comme extrêmement dangereux-- l'a connu en 2005. Me Vincent Ollivier est désigné pour l'assister alors que le jeune homme est interpellé juste avant qu'il ne s'envole pour l'Irak via la Syrie.

«Quand je l'ai vu, il était soulagé d'avoir été arrêté. Il avait la certitude que, s'il y était allé, il y serait resté», confie l'avocat sur Europe 1. Il le décrit comme «un jeune assez classique, qui fumait, buvait et draguait les filles». C'était «deux enfants abandonnés, très jeunes», par leurs parents algériens, poursuit Me Ollivier, au sujet de Chérif et son frère Saïd.

Né en novembre 1982 à Paris, de nationalité française, surnommé Abou Issen, Chérif Kouachi a fait partie de ce qui a été appelé «la filière des Buttes-Chaumont». Sous l'autorité de «l'émir» Farid Benyettou, cette filière visait à envoyer des djihadistes en Irak dans les rangs de la branche irakienne d'Al-Qaïda, dirigée à l'époque par Abou Moussab al-Zarkaoui.

Pour ces faits, il a été jugé en 2008 et condamné à trois ans de prison, dont 18 mois avec sursis. Me Ollivier, qui n'a plus eu de contact avec Chérif Kouachi depuis le procès, assure qu'alors il s'était «resocialisé». «Il s'était marié», «n'avait aucun caractère d'agressivité». S'est-il radicalisé en prison? «Non. Il a mûri», répond l'avocat.

Pourtant, c'est à Fleury-Mérogis, où il est incarcéré de novembre 2005 à octobre 2006, qu'il fait la connaissance de Djamal Beghal, figure de l'islam radical français qui purge une peine de dix ans pour la préparation d'attentats.

Dès lors, Chérif Kouachi aurait été, selon une source proche du dossier, «sous l'influence» de Beghal et se fait remarquer par «une pratique très rigoriste de l'islam».

Un lien avec EI

Pour le chercheur Jean-Pierre Filiu, connaisseur de la mouvance islamiste radicale, Chérif Kouachi est lié à l'organisation État islamique (EI) qui a salué jeudi l'attaque perpétrée par les deux frères. Il a assuré ainsi à l'AFP qu'un membre franco-tunisien du groupe EI, Boubaker al-Hakim, faisait comme lui partie au début des années 2000 de la filière des Buttes-Chaumont.

En 2010, le nom de Chérif Kouachi est cité dans le projet de tentative de faire évader de prison l'islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem, ancien membre du Groupe islamique armé algérien (GIA), condamné en 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commis l'attentat à la station RER Musée d'Orsay en octobre 1995 à Paris (30 blessés).

Après avoir été mis en examen dans cette affaire, où il apparaissait à la marge, il bénéficie d'un non-lieu.

À cette époque, le jeune homme, mince, fait beaucoup de sport, du footing, du foot, notamment aux Buttes-Chaumont, à Paris. Il apparaît sur des photos prises par la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) courant à Murat (Cantal) au côté de Djamal Beghal qui y est en résidence surveillée, selon des sources proches du dossier.

Crâne rasé et ovale, bouc clairsemé sur la photographie diffusée par la police, Chérif Kouachi était, avant de basculer dans l'islam radical, un fan de rap, comme le montre une vidéo datant de l'été 2004 diffusée en 2005 dans l'émission «Pièces à conviction» de France 3.

Son frère Saïd, de deux ans son aîné - il est né en septembre 1980 également à Paris - a laissé sa carte d'identité dans la voiture abandonnée peu après l'attentat par les suspects.

Il s'était rendu au Yémen en 2011 pour s'y entraîner au maniement des armes, a déclaré jeudi un responsable américain. La formation lui a été dispensée par un membre d'Al-Qaïda au Yémen. Ce séjour a duré «quelques mois», selon The New York Times.

Dans l'appel à témoins diffusé par la police, cet homme aux yeux marrons apparaît avec des cheveux courts et arbore une barbe peu fournie. À Reims, il vivait avec son épouse, mère d'un enfant en bas âge, dans le quartier populaire de Croix-Rouge, là où la police a effectué des perquisitions d'appartements mercredi soir.

Le couple vivait depuis un an et demi/deux ans dans le quartier, selon Samir, 21 ans. L'épouse de Saïd portait le voile intégral, a-t-il souligné.

Chérif et Saïd, comme une soeur et un autre frère, ont eu une enfance bouleversée. Ils ont été placés pendant six ans, de 1994 à 2000, en Corrèze, à Treignac, au Centre des Monédières, appartenant à la fondation Claude-Pompidou, a appris l'AFP, confirmant une information de La Montagne.

«Cette fratrie nous a été confiée en 1994 par les services sociaux de Paris parce qu'elle vivait dans une famille vulnérable», a expliqué à La Montagne, Patrick Fournier, chef du service éducatif de l'établissement. Il les décrit comme «parfaitement intégrés» et n'ayant «jamais posé de problème de comportement» durant leur séjour.

«Saïd a passé un CAP et un BEPC hôtellerie chez nous», ajoute M. Fournier.

Les suspects figuraient sur une liste d'interdiction de vol

Les deux frères soupçonnés d'avoir perpétré l'attentat apparaissaient sur la liste d'interdiction de vol des États-Unis, selon un haut fonctionnaire américain responsable de la lutte contre le terrorisme.

Les autorités américaines n'ont pas voulu donner plus de détails sur ce qu'elles savent des deux suspects, Chérif Kouachi, âgé de 32 ans, et son frère Saïd, âgé de 34 ans. Elles n'ont pas voulu préciser, entre autres, si les deux hommes avaient combattu aux côtés de groupes extrémistes au Moyen-Orient.

Des témoins de l'attaque ont affirmé que les suspects avaient déclaré leur allégeance à la branche d'Al-Qaïda au Yémen.

Il ne serait pas inhabituel que des extrémistes connus des autorités soient placés sur la liste d'interdiction de vol des États-Unis, d'autant plus que Chérif Kouachi avait été condamné à 18 mois de prison pour avoir participé au recrutement de combattants devant se rendre en Irak.

- Avec AP