Malgré une deuxième fusillade survenue ce matin et une traque policière en cours pour attraper les auteurs en fuite de la tragédie de Charlie Hebdo, des milliers de Parisiens et des touristes ont assisté ce midi à la messe donnée dans la cathédrale Notre-Dame de Paris.

C'était loin d'être le calme après la tempête au lendemain du drame qui a fait 12 morts, mais du réconfort attendait les gens qui faisaient la file pour entrer dans l'église mythique de Paris.

D'autres ont préféré rester sous la pluie sur le parvis de l'Église. Parmi eux, Lionel Poursac, qui s'est déplacé sur l'Île de la Cité pendant sa pause de lunch.

« J'ai tenu à être ici car ce qui s'est passé est épouvantable, a dit l'infographiste médical avec un regard embrouillé par les larmes. Ce qui est triste est que cela va créer des amalgames entre l'islam et l'islam radical. »

À midi, le glas de Notre-Dame de Paris a sonné pendant une minute de silence, suivie d'une messe présidée par Mgr Jérôme Beau. « Le glas sonne sur la violence des hommes, le glas sonne pour dire la tristesse des coeurs et pour notre compassion à toutes les victimes de cet attentat. »

Pendant ce temps, à quelques pas de là, le président François Hollande se trouvait à la préfecture de police pour le moment de recueillement national qu'il avait annoncé la veille dans son adresse à la nation depuis l'Élysée.

« Les religions sont au service de la paix et de la fraternité », a déclaré Mgr Jérôme Beau. Pour l'évêque auxiliaire, la liberté de presse et la liberté religieuse représentent des valeurs d'une grande importance en France. « Être frères et soeurs ne veut pas systématiquement dire que nous avons les mêmes opinions », a-t-il dit aux gens - religieux et athées - réunis silencieusement devant lui.

Beaucoup de touristes en visite à Paris ont également assisté à la cérémonie. Sarah Moody ne croyait pas avoir un premier voyage à Paris aussi bouleversant.

« Je suis arrivée hier. Je suis sous le choc, a raconté la jeune femme australienne, alors qu'elle allumait un lampion dans la cathédrale. En venant de Sydney (où une prise d'otages a fait trois morts en décembre dernier), je ne croyais jamais que cela puisse arriver ici. Il n'y a aucun endroit sécuritaire au monde. Mais c'est important de continuer à vivre. Sinon, c'est de céder la bataille. »

« J'ai beaucoup empathie pour les Parisiens, a-t-elle souligné. Je voulais visiter Notre-Dame de Paris et je suis catholique, mais je suis surtout venir ici pour être avec les gens. »

La vie continue

Il y a des signes que la vie reprend son cours à Paris, que ce soit dans les métros, les cafés, les boulangeries, les lieux touristiques et les grands magasins en période très courue de solde.

À l'Élysée, c'est plutôt le branle-bas de combat.

En matinée, le président de la République a tenu une réunion de crise, notamment avec des responsables de la police, le premier ministre Manuel Valls, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian et le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Ce dernier a quitté hâtivement la réunion quand une deuxième fusillade a éclaté à Montrouge (voir autre texte).

À 9h30, François Hollande s'est entretenu pendant 45 minutes Nicolas Sarkozy. «J'ai dit au Président qu'il y aurait sans doute des décisions à prendre, un niveau de fermeté et de vigilance à augmenter », a déclaré son prédécesseur à la tête de l'État et actuel président de l'UMP.

Quant à la présidente du Front national Marine Le Pen, elle devrait être reçue à l'Élysée vendredi, au même titre que les chefs des autres partis qui ne forment pas un groupe au Parlement. 

Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube ce matin, Marine Le Pen a rappelé qu'elle voudrait proposer un «référendum sur la peine de mort » si jamais elle est élue présidente de la République. La présidente du FN a déclaré que l'attentat funeste de Charlie Hebdo a sans aucun doute été commis « au nom de l'islamisme radical », une « idéologie meurtrière qui fait des milliers de victimes dans le monde ».

Dimanche, une grande marche républicaine doit avoir lieu à la Place de la République.

D'ici là, la chasse aux deux suspects de l'attentat de 12 morts se poursuit, tout comme l'enquête de la fusillade de Montrouge.

« Nous sommes tous abasourdis par ce qui s'est passé, dit Lionel Poursac.  On savait qu'il y avait cette épée de Damoclès, mais pas quand, ni comment et par quels moyens. Je crois aussi qu'il y a une forme de psychose avec ce qui s'est passé ce matin. »

«Il faut que la France se réveille»

Au siège de Charlie Hebdo, dans le 11e arrondissement de Paris, des centaines d'anonymes recueillis, la gorge serrée, parfois en larmes, ont témoigné de leur solidarité, déposant fleurs, crayons, bougies, dessins et messages.

«On est tous Charlie, non à la barbarie», «Hara Kiri aux islamistes, Charlie vivra!» : des messages de solidarité accompagnaient les nombreux bouquets déposés sur le trottoir.

Un tonnerre d'applaudissements a suivi la minute de silence, y compris de la part des nombreux journalistes présents, dont plusieurs ont brandi leur carte de presse.

«Je suis une vieille dame, j'ai connu l'Occupation. Il faut que la France se réveille pour qu'on soit encore libre de penser», confiait Monique Valton, 81 ans, venue déposer des fleurs.

Les visages de Charb, Cabu, Wolinski et Tignous, quatre caricaturistes de renom tués durant l'attaque, sont affichés sur la façade d'un immeuble proche.

Ces dessinateurs qui ont été tués «représentent mes idées et les valeurs de la France», dit Patrick Derrien, 66 ans, lecteur régulier de Charlie Hebdo.

«Je viendrai tous les jours ici, jusqu'à dimanche. Charlie Hebdo n'était pas mon journal. Mais ils ont tué des gens qui étaient là pour faire sourire et penser», affirme Dominique Vivares, une responsable des ventes de 49 ans.

La tour Eiffel éteinte

À Toulouse (sud-ouest), plusieurs milliers de personnes, dont beaucoup pointaient des stylos vers le ciel, se sont longuement recueillies en silence, avant d'entonner une Marseillaise.

«Je suis choquée, en colère, triste et je trouve que nous ne sommes pas assez nombreux aujourd'hui», témoigne Clara, 52 ans, submergée par l'émotion.

Dans la cour de la préfecture à Lyon (centre-est), Solange, 58 ans, veut rendre hommage «aux dessinateurs de notre jeunesse». «La guerre est déclarée depuis un certain temps», souligne à côté d'elle Jean-Luc, 58 ans, qui craint d'autres attentats.

À Lille (nord), des enfants d'une école musulmane ont brandi devant des caméras des feuilles de papier barrées du slogan «Pas en mon nom».

À Nantes (ouest), un jeune homme, portant un tee-shirt noir sur lequel il a peint en lettres blanches «Je suis Charlie», se recueille sur la Place Royale. En larmes devant des dizaines de bougies éteintes et des fleurs laissées au bord de la fontaine, il lâche : «ils ont voulu tuer Charlie Hebdo, mais ils l'ont rendu immortel».

Sur les réseaux sociaux ou par texto, certains appelaient à une opération «bougies aux fenêtres» jeudi soir, pour envoyer un «message de paix, pour la liberté».

À 20 h (14h à Montréal), les lumières de la tour Eiffel devaient s'éteindre en hommage aux victimes.

- AFP