La chasse aux deux suspects se poursuivait hier soir dans le département de l'Aisne, à une centaine de kilomètres au nord de Paris, où une zone a été placée au niveau maximum d'alerte antiterroriste. Plus tôt en matinée, une deuxième fusillade à Paris, qui a causé la mort d'une policière, a semé la peur. Elle ne serait pas liée à la tragédie de la veille.

Le gérant d'une station d'essence située au sud de Villers-Cotterêts a repéré hier matin Saïd et Chérif Kouachi, soupçonnés d'avoir tué 12 personnes, dont deux policiers et huit journalistes, mercredi dans l'édifice de Charlie Hebdo. Les frères auraient braqué la station-service, armés de kalachnikovs et de lance-roquettes.

La police a intensifié sa traque et ses recherches autour des villages de Corcy et de Longpont. Selon les dernières informations, les deux frères auraient abandonné leur voiture Renault Clio et seraient à pied.

Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a indiqué que Chérif Kouachi - déjà emprisonné pour son appartenance à une filière djihadiste et aujourd'hui affilée à Al-Qaïda - a été décrit par des témoins interrogés comme étant un homme «violemment antisémite». Son frère Saïd aurait quant à lui voyagé au Yémen en 2011 afin de recevoir un entraînement militaire par le groupe Al-Qaïda, a rapporté le New York Times. Citant une source des services de renseignement américains, le quotidien a révélé que les frères Kouachi étaient interdits de séjour aux États-Unis depuis des années.

Messe à Notre-Dame de Paris

C'était loin d'être le calme après la tempête au lendemain du drame, mais des milliers de personnes ont tout de même assisté à la messe célébrée à midi dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris.

Des gens ont préféré rester sous la pluie sur le parvis de l'église. «Nous sommes tous abasourdis par ce qui s'est passé, a dit Lionel Poursac. On savait qu'il y avait cette épée de Damoclès, mais pas quand, ni comment et par quels moyens. Je crois aussi qu'il y a une forme de psychose avec ce qui s'est passé ce matin.»

«J'ai tenu à être ici, car ce qui s'est passé est épouvantable, a ajouté l'infographiste médical, le regard embrouillé par les larmes. Ce qui est triste est que cela va créer des amalgames entre l'islam et l'islam radical. J'ai longtemps travaillé à l'Hôtel-Dieu, à côté, donc je tenais à être devant Notre-Dame.»

À midi, le glas de Notre-Dame de Paris a sonné pendant que la foule observait une minute de silence. Une messe présidée par monseigneur Jérôme Beau a suivi. «Les religions sont au service de la paix et de la fraternité», a-t-il déclaré. Pour l'évêque auxiliaire, la liberté de la presse et la liberté religieuse représentent des valeurs d'une grande importance en France. «Être frères et soeurs ne veut pas systématiquement dire que nous avons les mêmes opinions», a-t-il dit aux gens - croyants et athées - recueillis devant lui.

Beaucoup de touristes ont assisté à la cérémonie. Sarah Moody ne croyait pas vivre un premier voyage à Paris aussi bouleversant.

«Je suis arrivée hier. Je suis sous le choc, a raconté la jeune Australienne, alors qu'elle allumait un lampion. En venant de Sydney [où une prise d'otages a fait trois morts en décembre], je ne croyais jamais que cela puisse arriver ici. Il n'y a aucun endroit sûr au monde. Mais c'est important de continuer à vivre. Sinon, c'est comme céder la bataille.»

Pendant ce temps, à quelques pas de là, le président François Hollande se trouvait à la préfecture de police pour le moment de recueillement national qu'il avait annoncé la veille dans son adresse à la nation.

La vie continue

Des signes montrent que la vie reprend son cours à Paris. On le constate dans les cafés, les boulangeries, les lieux touristiques et les grands magasins en cette période très courue des soldes. Mais il y a des scènes remuantes, comme cette femme qui a soudainement fondu en larmes devant nous dans la ligne 9 du métro de Paris, hier.

À l'Élysée, c'est plutôt le branle-bas de combat.

En matinée, hier, le président de la République a tenu une réunion de crise, notamment avec des responsables de la police, le premier ministre Manuel Valls, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian et le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Ce dernier a quitté hâtivement la réunion quand une deuxième fusillade a éclaté à Montrouge (voir autre texte en page 6).

À 9h30, François Hollande s'est entretenu pendant 45 minutes avec Nicolas Sarkozy. «J'ai dit au président qu'il y aurait sans doute des décisions à prendre, un niveau de fermeté et de vigilance à augmenter», a déclaré le président de l'Union pour un mouvement populaire.

Quant à la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen, elle devrait être reçue à l'Élysée aujourd'hui, au même titre que les chefs des autres partis qui ne forment pas un groupe au Parlement.

Solidarité sur la place de la République

Hier soir, des milliers de gens ont un soir de plus envahi la place de la République, où aura également lieu dimanche une grande marche républicaine.

Des gens ont allumé des chandelles au sol qui formaient les lettres «Je suis Charlie». D'autres avaient grimpé sur l'imposante statue de bronze de Marianne. Une affiche indiquait «Charliberté».

Constance De Carvalho, Yuan Song et Juliette Demaille ont allumé une bougie. «Inexplicable». «Malheureux.» «Pas possible». Les trois amis du début de la vingtaine n'étaient pas remis de leurs émotions, mais tenaient à se rassembler pour le deuxième soir dans le 11e arrondissement parmi la foule.

«C'est important que nous ne soyons pas chacun dans notre coin à penser que c'est dur... Tout le monde est là pour montrer que l'on pense la même chose», a commenté Juliette Demaille.

Le danger? «Je crois que personne ne pense à cela», a dit Constance De Carvalho.

«C'est l'avenir qui m'inquiète», a renchéri Yuan Song.

Les trois étudiants craignent que le sentiment d'unité de la population s'effrite au cours des prochains jours et que le débat politique ne dérape. «Comment les politiciens vont récupérer la chose? Il faut rester solidaires», a souhaité Yuan Song, apprenti cinéaste.

- Avec Marie-Michèle Sioui

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Chérif (à gauche) et Saïd Kouachi.