Les auteurs de l'attentat au journal satirique Charlie Hebdo ont fait preuve d'un niveau de préparation élevé dans leur attaque, selon un ancien militaire canadien.

Le journaliste indépendant Martin Forgues, qui a servi huit ans dans l'infanterie, a analysé pour La Presse les images de la fusillade qui a fait 12 morts et une dizaine de blessés, hier à Paris. «D'après ce qu'on voit des images, ce sont des gars qui font preuve de beaucoup de connaissances et ils étaient extrêmement bien préparés. On est loin du loup solitaire.»

«En contrôle»

Le détail peut paraître anodin, mais la première chose qui saute aux yeux de Martin Forgues dans l'une des vidéos de l'attentat est une chaussure au sol. Après avoir abattu le policier, l'un des tireurs prend soin de récupérer la chaussure avant de monter à bord du véhicule. «Tu vois des gars en parfait contrôle», observe l'ex-militaire. Difficile de connaître avec précision la raison motivant ce geste, mais il pourrait avoir voulu éviter de laisser de l'ADN. Plus simplement, le tireur comptait peut-être sur ce soulier pour changer son apparence afin de ne pas être retrouvé. «C'est une hypothèse, mais ils se sont probablement changés», analyse Martin Forgues.

Maniement des armes

La vidéo démontre aussi que les auteurs de l'attaque avaient une bonne connaissance du maniement des armes. «Quand ils se déplacent, ils tiennent leur arme serrée contre eux, toujours pointée vers l'avant. Tu vois que leur regard suit leur arme quand ils se déplacent: c'est une chose qu'on apprend pour pouvoir tirer rapidement. On voit que ce sont des gars qui se sont entraînés au maniement des armes de combat», dit Martin Forgues.

Bons tireurs

En plus de bien manier leur arme, les hommes semblent être de bons tireurs. Une photo prise hier après l'attaque montre le pare-brise d'une voiture de police percé par une quinzaine de balles. Tous sont rapprochés, signe d'un «tir groupé», dans le langage des militaires. «Non seulement ils savent tenir leur arme, mais ils savent tirer. Souvent, ce qu'on va voir dans des fusillades, ce sont des tirs en rafales: les gens mitraillent. Mais là, ils tirent en mode semi-automatique, un coup à la fois, toujours ciblé. C'est ce qu'on apprend dans l'armée. C'est plus efficace et ça permet d'économiser les munitions», ajoute Martin Forgues.

Sens tactique

La vidéo démontre également que les tireurs savent se déplacer en situation de combat. «Dans façon dont ils vont chercher le policier, il n'y a aucune hésitation. Ils communiquent ensemble, parlent tout le temps. Quand l'un bouge, l'autre le couvre. Ils ont un sens de la tactique très évident.» Martin Forgues note que les deux hommes ont utilisé une tactique militaire de base pour tuer le policier. «C'est une tactique qui s'appelle "feu et mouvement": l'un couvre pendant que l'autre bouge. Quand il arrive où il veut aller, l'autre part. C'est la tactique de base de déplacement.»

Équipés pour la guerre

Gilet tactique, cagoule: les auteurs de l'attentat étaient bien équipés. Bien que la qualité des vidéos soit faible, Martin Forgues note que le gilet tactique que porte l'un des tireurs «semble être un modèle récent, [qu'on pourrait] voir sur un soldat ou un combattant moderne». Ces vestes permettent d'avoir des chargeurs supplémentaires à portée de main, afin d'accélérer le chargement des armes. Même les cagoules en disent long sur leur préparation. «On a souvent en tête l'image du djihadiste avec un foulard, mais un foulard peut bouger, obstruer le champ de vision. Une cagoule, non. C'est un autre indicateur qu'ils savaient très bien ce qu'ils faisaient. Ils savaient avec quoi se recouvrir le visage.»

Attaque planifiée

La présence d'une voiture qui attendait les tireurs à la sortie de Charlie Hebdo démontre que ceux-ci ne comptaient pas mourir sur place. «Ils avaient un plan pour fuir, ça me semble évident», dit l'ex-militaire. Ce plan pour fuir et le fait qu'ils ont attaqué en pleine réunion indiquent un haut niveau d'organisation. «Les gars savaient qu'il y avait un meeting. Ils avaient non seulement de l'équipement, de l'entraînement et de la préparation, mais ils avaient du renseignement. Dans ce genre d'opération, c'est important. Il y a eu une reconnaissance. Il y a un aspect très militaire dans ce massacre», analyse Martin Forgues.

Pas des loups solitaires

Difficile de dire, à partir des images d'hier, si les auteurs de la fusillade étaient d'anciens militaires ou combattants, mais tout indique qu'ils ont de l'expérience ou, au minimum, qu'ils ont bénéficié d'un bon entraînement. «On est loin du loup solitaire qui improvise son coup», analyse Martin Forgues. L'ancien militaire compare la façon de tenir l'arme de ces tireurs à celle de l'auteur de la fusillade survenue à Ottawa le 22 octobre dernier. «C'est dur de viser quand ton fusil est à ta hanche. Il y a juste les amateurs qui font ça. Michael Zehaf Bibeau était un amateur: il était mal équipé, avec une vieille Winchester, et il la tenait n'importe comment.»

Attaque commanditée?

Tout ce niveau de préparation laisse croire qu'une organisation internationale pourrait se cacher derrière les auteurs de l'attentat de Paris. Thomas Jumeau, qui enseigne à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa, pense qu'il faut regarder du côté d'Al-Qaïda plutôt que du groupe État islamique (EI) si la piste de l'attaque djihadiste se confirme. Le niveau de préparation apparemment élevé des attaquants rappelle des attentats complexes lancés précédemment par l'organisation. «Dans les médias, on parle beaucoup de l'EI, mais Al-Qaïda n'est pas en déclin. Ses dirigeants sont ciblés par les drones et sont sous pression, mais ils continuent d'opérer dans plusieurs pays. Ils sont d'ailleurs un peu en concurrence avec l'EI», souligne le chercheur.

- Avec Marc Thibodeau