Une «marche contre la peur», qui devait avoir lieu dimanche à Bruxelles, a dû être annulée, pour des raisons de « sécurité » à la demande des autorités, ont informé les organisateurs samedi.

« La sécurité des citoyens est une priorité absolue. Dès lors, nous rejoignons totalement les autorités dans cette proposition de report à une date ultérieure. Nous demandons donc, à notre tour, aux citoyens de ne pas venir ce dimanche à Bruxelles », déclarent-ils dans un communiqué. Le maire de Bruxelles et le ministre de l'Intérieur avaient auparavant demandé à la population de ne pas participer à cette manifestation.

«Vu le niveau 3 [sur une échelle de 4, NDLR] de la menace qui reste maintenu, vu les enquêtes en cours [...] et étant donné la mobilisation et la capacité policière sur le terrain [...] nous voulons inviter les citoyens à ne pas manifester demain», a déclaré lors d'une conférence de presse le maire de Bruxelles Yvan Mayeur, invitant à «reporter leur manifestation à dans quelques semaines».

Disant «partager l'émotion» de la population, M. Mayeur a estimé que ce report permettrait de «laisser travailler l'ensemble des services, des enquêteurs».

«Nous invitons les gens à ne pas participer à cette manifestation demain», a appuyé le ministre de l'Intérieur Jan Jambon, qui a aussi invoqué des raisons «de sécurité», la police étant déjà très sollicitée dans un pays où la menace terroriste reste élevée.

La Belgique arbore son unité mais pas son drapeau

Après les attentats de Bruxelles, les manifestations de fierté nationale sont rares en Belgique, contrairement à New York après le 11-septembre ou à Paris où les rues étaient pavoisées de drapeaux: dans cet État récent et fédéral, l'accent est mis sur l'unité.

Place de la Bourse dans la capitale, devenue le lieu du recueillement collectif, il y avait autant de drapeaux étrangers - sud-africains, israéliens et même cubains- que de drapeaux belges noir-jaune-rouge parmi le tapis de fleurs, de bougies et de messages de condoléances.

La manière dont la Belgique répond aux pires attentats sur son sol puise ses racines dans le clivage qui divise en deux cette petite nation de 11 millions d'habitants: sa moitié néerlandophone, et l'autre francophone.

Les Belges s'identifient plus à leur groupe linguistique qu'à leur pays, et ce pour des raisons historiques, explique à l'AFP Régis Dandoy, politologue à l'université francophone de Louvain.

«La Belgique est un État qui a été créé artificiellement. Même s'il a été créé dans une révolution contre l'occupant hollandais, il n'y a pas vraiment de nation. Il n'y a pas de peuple belge. Le mot belge ou Belgique a quasiment été inventé après la création de l'État en 1830», poursuit-il.

Le nationalisme n'est donc pas la meilleure voie pour rassembler, renchérit Marc Hooghe, professeur en sciences politiques à l'université néerlandophone de Louvain: «Agiter le drapeau et riposter militairement est le genre de, disons, langage que nous n'avons pas», dit-il à l'AFP.

«La démocratie, la liberté, l'état de droit, la tolérance sont plus que jamais nos repères pour avancer ensemble», a déclaré jeudi aux parlementaires le premier ministre Charles Michel, francophone.

Après les attaques de Paris le 13 novembre, le président français François Hollande avait lui proclamé que son pays était «en guerre» contre le groupe État islamique (EI), qui a revendiqué les attentats dans les deux capitales.

«Le rôle de l'État est différent ici par rapport aux grands pays européens qui possèdent d'importantes forces armées, où l'on peut penser que l'armée, le président, la république vous protégera», estime M. Hooghe.

«Dans un petit pays, pas très puissant, nous ne croyons pas que la Belgique va nous protéger. N'importe quelle armée puissante pourrait nous battre facilement», ajoute-t-il.

La Belgique fait partie de la coalition anti-EI menée par les États-Unis en Irak, et envisage d'envoyer ses avions de combat F-16 en Syrie. Le gouvernement n'a pas annoncé de plus amples opérations militaires depuis la revendication des attentats.

Le mot d'ordre depuis les attentats à l'aéroport et dans le métro de Bruxelles est donc l'unité dans un pays qui ne comptait ces dernières années que sur les succès de l'équipe nationale de football, les Diables rouges, pour nourrir ce sentiment.

C'était flagrante place de la Bourse, où Flamands et francophones ont rendu ensemble hommage aux victimes, le chagrin prenant le pas sur les conflits linguistiques.

«On sent une communion», commente Damien Bilteryst, un francophone âgé de 48 ans. «Finalement tout le monde vit les mêmes choses, quelles que soient leur condition sociale ou leurs origines».

Les attaques, par les lieux choisis, touchent les deux communautés: l'aéroport de Bruxelles, Zaventem, est situé dans la province du Brabant flamand, tandis que la ville de Bruxelles est une enclave à majorité francophone au milieu de cette même province.

Les musulmans de Belgique, qui comptent pour environ 6% de la population, auront eux probablement du mal à trouver leur place dans cette unité, même s'il est trop tôt pour dire si les attaques vont accroître le sentiment islamophobe, comme cela a été observé en France par exemple.

«C'est une réalité qui ne va faire qu'agrandir le fossé et rendre plus difficile l'intégration des populations musulmanes», estime néanmoins Régis Dandoy.

La Belgique est le pays de l'UE qui compte le plus de djihadistes en Irak et en Syrie proportionnellement à sa population, selon les experts qui évoquent entre 300 et 400 individus.