L'émotion était vive en France mercredi soir, alors qu'un suspect était détenu et deux autres toujours recherchés à la suite d'un attentat qui a fait douze morts au journal satirique Charlie Hebdo.

Un jeune de 18 ans soupçonné d'avoir apporté son appui à l'opération meurtrière, s'est livré à la police au cours de la nuit.

Mais les deux présumés tireurs qui ont fait un carnage en plein coeur de Paris étaient toujours en fuite au moment d'écrire ces lignes, pourchassés par une armée de policiers. La police les a identifiés comme deux frères dans la trentaine nés à Paris, Saïd et Chérif Kouachi.

Malgré la poursuite de la traque, des centaines de milliers de personnes ont tenu des rassemblements dans de nombreuses villes de France, hier soir, quelques heures après l'attentat le plus meurtrier en sol français depuis 50 ans.

«C'est indispensable d'être ici. Je ne peux pas faire autrement, a lancé Anne Souche, qui se recueillait au milieu de la marée humaine qui avait envahi la place de la République. Ce journal exceptionnel a marqué mon enfance. Cette tuerie qui a eu lieu ce matin est inimaginable pour nous.»

«Vous voyez les visages marqués des gens par ce qui est arrivé aujourd'hui. Des gens qui croient à la liberté. C'est scandaleux que cela se passe en France», a-t-elle laissé tomber.

Vers 11h30 hier matin, au moins deux hommes armés ont orchestré une fusillade sanglante dans les bureaux de Charlie Hebdo, situés dans le 11e arrondissement - à quelques pas de l'appartement de fonction de La Presse. Ils ont fait 12 morts, dont deux policiers, l'économiste Bernard Maris et les dessinateurs Cabu, Charb et Wolinski.

«Des chroniqueurs courageux, a déclaré hier soir le président François Hollande dans un discours à la nation. Ils avaient marqué par leur influence, par leur insolence, par leur indépendance, des générations et des générations de Français.»

Des policiers surveillaient l'entrée du Charlie Hebdo, a rappelé le président de la République. Charb, le célèbre directeur, vivait même sous protection policière depuis 2012, ayant fait l'objet de menaces de mort après la publication d'une seconde série de caricatures de Mahomet. La semaine dernière, il écrivait en marge d'un dessin prémonitoire: «Toujours pas d'attentats en France. Attendez! On a jusqu'à la fin janvier pour présenter ses voeux.»

Un carnage, selon des témoins

Après avoir débarqué d'une Citroën noire aux vitres teintées, les suspects cagoulés et armés de kalachnikovs ont semé la terreur dans les environs de Charlie Hebdo. «Ils ont tiré sur tout ce qui bougeait», a raconté à La Presse Rocco Contento, secrétaire du syndicat Unité SGP Police de Paris.

La dessinatrice Corinne Rey, surnommée Coco, allait chercher sa fille à la garderie quand deux des hommes l'ont brutalement menacée pour qu'elle tape le code de la porte. Elle a vu ses collègues Wolinski et Cabu mourir et s'est tapie sous un bureau, a-t-elle raconté à l'Agence France-Presse. «Ils parlaient parfaitement le français» et «se revendiquaient d'Al-Qaïda», a-t-elle précisé.

Martin Boudot, qui travaille dans une agence située en face des bureaux de Charlie Hebdo, a filmé des images qui glacent le sang du haut de son édifice. On y voit un homme tirer à bout portant en criant «Allahou Akbar» («Dieu est grand», en arabe). «Je suis avec la police», a indiqué à La Presse le journaliste en fin de journée.

En sortant des bureaux de Charlie Hebdo, les trois suspects ont pris la fuite dans leur Citroën. En croisant le boulevard Richard-Lenoir, ils ont abattu un agent du 11e arrondissement. Plus loin, dans le 19e arrondissement, ils ont abandonné leur voiture pour voler celle d'un automobiliste, après quoi la police a perdu leurs traces.

Les deux suspects recherchés par la police française. 

Selon des sources policières citées dans les médias français, le calme, la détermination et l'efficacité des tueurs pendant la fusillade seraient le résultat «d'un entraînement poussé de type militaire».

Très tôt et à chaud après le drame, les policiers mesuraient la gravité, l'ampleur et la forte symbolique de la fusillade meurtrière. «Un drame pareil dans une démocratie même européenne, je ne crois pas que ce soit déjà arrivé, a lancé Rocco Contento, en marge du périmètre de sécurité. C'est gravissime, c'est du terrorisme, une atteinte à la liberté des médias.»

Bruit infernal

Pendant toute la journée d'hier, un bruit infernal de sirènes a mis en état d'alerte les résidants et travailleurs du quartier. «Ça fait peur, tous ces morts. Très peur. C'est perturbant. Je suis sortie et j'ai vu le policier [abattu] recevoir des massages cardiaques», a dit Catherine Troadec, une comptable qui travaille tout près de Charlie Hebdo dans un bureau d'huissier.

Au moment de mettre sous presse, plusieurs blessés étaient toujours soignés, dont quatre dans un état très grave.

Aujourd'hui, ce sera jour de deuil national en France, et les drapeaux resteront en berne jusqu'au week-end. C'est à la Préfecture de police de Paris que le président François Hollande observera à midi un moment de recueillement.

Le premier ministre Manuel Valls a élevé le plan Vigipirate au niveau le plus élevé, soit l'«alerte attentat». Des policiers supplémentaires gardent les grands magasins, les réseaux de transport et les organes de presse.

«La France a été attaquée en son coeur, à Paris», a d'emblée clamé François Hollande dans son message à la nation diffusé de l'Élysée à 20h. «La liberté sera toujours plus forte que la barbarie», a-t-il déclaré.

Dans son discours, le président de la République a rappelé l'importance des valeurs françaises que sont la liberté, la sécurité et l'unité. «Nous devons rester nous-mêmes. [...] Notre meilleure arme, c'est notre unité.»

Discours rassembleur

Les Parisiens réunis hier soir à la place de la République faisaient écho au discours de leur président. Le fils âgé de 4 ans de Clément Louyot et Émilie Lapeyre fréquente l'école Alphonse-Baudin, située tout près des bureaux de Charlie Hebdo. Hier soir, le couple a tenu à être parmi la foule réunie à la place de la République. Leur fils tenait une chandelle blanche et portait une affiche à l'effigie du mot «Liberté». «On ne lui explique que certaines choses pour qu'il puisse grandir sans trop de trauma, a indiqué son père. Nous sommes complètement abattus, mais on a envie de dire non à tout cela.»

Pendant le rassemblement, plusieurs panneaux publicitaires de Paris ont diffusé le message de soutien «Je suis Charlie».

À l'invitation de Radio France, Le Monde et France Télévisions, des médias français aideront Charlie Hebdo à poursuivre ses activités et ses publications.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche