Le soleil avait oublié de porter le deuil, hier à Nice, au-dessus des vacanciers qui déambulaient sur une promenade des Anglais rouverte, mais littéralement tachée de sang.

Des marques foncées sur le bitume, rougeâtres sur les lignes blanches de la piste cyclable. Des marques noires pour les moins bien nettoyées.

Des marques en traînées. Le camion ? Les secours ?

Certains promeneurs gardent le regard bien haut - par inadvertance ou par défiance. D'autres ne peuvent en détacher leurs yeux. Ceux-là les évitent précautionneusement.

Des bouquets de fleurs sous les bras, mais les sacs de plage restent plus populaires. Car en contrebas, sur toute la longueur de la promenade, la mer continue de luire.

« Ils sèment la terreur et la peur, mais nous devons continuer de vivre », affirme la Milanaise Roberta Priveri, en quittant la plage avec son chapeau de paille et sa chaise pliante. « Il faut faire comme d'habitude. » Deux maîtres-nageurs confirment que l'achalandage est un peu bas pour un samedi, mais à peine.

« Il faut venir sur la plage. Qu'on vienne maintenant ou dans un an, ça ne changera rien. Il faut vivre », dit Nicolas P., un Niçois.

Un couple l'a pris au mot : attachés à un parachute jaune tiré par un bateau, ils passent en rase-motte au-dessus des vagues.

Des survivants offrent leur récit aux curieux qui s'agglutinent autour d'eux. Ici, un malheureux happé. Là, l'endroit où la police a abattu le responsable. « Ma chance, ça a été de voir le gars arriver. »

Sur la terrasse du Negresco, un hôtel de luxe devenu hôpital de campagne le soir du drame, on a recommencé à manger des hamburgers-frites à 27 euros.

Tout près, à côté de deux drapeaux tricolores en berne, un fanion bleu délavé flotte bien haut sur son mât : « eau de bonne qualité ». Des baigneurs se rient de la mort à coups de cris et d'éclaboussures. Des femmes seins nus, des joggeurs au torse tanné par le soleil.

« ON ÉTAIT NOUS-MÊMES SUR LA PROMENADE »

Mariam Espallargas est venue déposer une plante grasse au pied d'un lampadaire, près de fleurs. C'est peut-être moins joli, mais « c'est une plante faite pour le soleil », explique-t-elle, la voix qui bute sur les mots. « C'est la vie qui continue. Pour nous, mais aussi dans l'au-delà. » Les bouquets coupés fanent vite en juillet à Nice.

Une connaissance, une ancienne voisine, a été tuée jeudi soir avec ses deux enfants de 3 et 8 ans. Alors elle a attaché une peluche blanche au petit pot de terre. « À nos enfants et à tous nos frères et soeurs niçois sauvagement assassinés », a-t-elle écrit dans une petite carte.

D'autres préfèrent le mémorial principal, où se sont relayées hier des centaines de personnes. Au centre, Côte d'Azur oblige, un grand palmier.

À l'hôtel de ville, une petite dizaine de mariées en robes entrent ou sortent. « On y pense », explique Cynthia Coste. Ou plutôt Cynthia Filippini depuis quelques minutes, se reprend-elle. Elle vient tout juste de se marier. « On était nous-mêmes sur la promenade quand ça s'est passé, ça a été terrible. Mais il faut continuer de vivre malgré ça. Si ça doit arriver, ça arrivera quand même. »

À quelques mètres, deux Britanniques installent des affiches. « Disparu - Missing ».