Les enterrements du jour sont terminés quand une vingtaine de personnes s'avancent sur la parcelle musulmane du cimetière multiconfessionnel de Bruxelles. En tête de cortège, six hommes portent un cercueil: celui de Brahim Abdeslam, un des kamikazes des attentats de Paris.

De tous âges, ils sont venus rendre un dernier hommage à leur proche, petit caïd radicalisé de Molenbeek, devenu funestement célèbre après avoir pris part aux sanglantes attaques qui ont fait 130 morts le 13 novembre.

Âgé de 31 ans, ce Français d'origine marocaine qui vivait à Bruxelles s'est fait sauter au bar «Le Comptoir Voltaire», blessant une serveuse, après avoir participé au mitraillage de terrasses de cafés et de restaurants. Un de ses trois frères, Salah, est, lui, toujours en cavale.

Des policiers en civil sont présents. Certains ont patrouillé pendant deux heures avant l'arrivée de la dépouille dans un van immatriculé en France. D'autres surveillaient les abords du cimetière pour éviter toute manifestation, hostile ou de soutien.

La semaine dernière, un autre kamikaze, Bilal Hadfi -- un Français d'origine marocaine de 20 ans lui aussi habitant en Belgique --, qui s'était fait exploser à proximité du Stade de France, avait été inhumé au même endroit en toute discrétion. La date des funérailles de Brahim Abdeslam, elle, a été révélée dans la presse locale.

Une poignée de journalistes est là. Mohamed Abdeslam, de deux ans le cadet de Brahim, leur a permis d'assister à distance à la cérémonie: «Vous pouvez regarder, faites vos articles mais, par respect, pas de photo», a-t-il calmement demandé.

Autour de la tombe fraîchement creusée, il n'y a que des hommes. Tête nue ou couverte d'un bonnet, d'une casquette ou d'une capuche, en tenue de ville, jogging ou djellaba, ils portent le cercueil en terre, puis le recouvrent à grandes pelletées de terre.

L'imam déclame les prières funèbres en français et en arabe: «Tu retourneras à la terre», «Il ne restera que tes actes, bons ou mauvais»...

La cérémonie ne dure qu'une vingtaine de minutes. Après une dernière prière, tournée vers La Mecque, chacun présente ses condoléances à Mohamed Abdeslam et s'en retourne.

«On a pu enfin le porter en terre. Enfin, le deuil va pouvoir commencer pour nous», explique ce dernier.

Tombe anonyme

La dépouille de son frère était devenue indésirable pour certains.

Sa famille voulait la rapatrier au Maroc. Elle a entamé des démarches auprès des autorités du royaume chérifien «il y a deux mois et demi», précise Mohamed.

«Mais on n'a pas eu de réponse pour une décision qui prend 48 heures normalement. La patience a des limites, on ne pouvait pas laisser indéfiniment le corps à l'Institut médico-légal. C'est une situation délicate, ils n'ont pas voulu prendre cette responsabilité, ne serait-ce que pour donner une réponse négative. Mais je peux comprendre», raconte-t-il.

Les responsables de «l'Intercommunale d'inhumation», qui gère le cimetière multiconfessionnel de Bruxelles, ont, eux, «pris la décision de ne pas refuser l'inhumation des personnes impliquées dans les récents actes terroristes», a expliqué son président, Saïd Chibani, dans un communiqué diffusé jeudi matin après que l'information sur les obsèques eurent fuité dans la presse.

«Partant du principe que tout décès entraîne automatiquement une obligation de sépulture, il nous incombe également de respecter les volontés de la famille concernée», estime M. Chibani.

Pour éviter d'en faire un lieu de pèlerinage ou de récriminations, la tombe restera anonyme comme celle, à quelques mètres, de Bilal Hadfi, dans ce cimetière qui accueille également la dépouille de Khalid Ben Larbi, l'un des deux jihadistes tués lors de l'assaut de Verviers (est de la Belgique) en janvier 2015 ayant abouti au démantèlement d'une cellule qui préparait des attentats contre les forces de l'ordre.

Un autre auteur identifié des attaques de Paris n'a pas encore été enterré: le Belgo-Marocain Abdelhamid Abaaoud, l'organisateur présumé des pires attentats jamais commis en France et figure de proue de la cellule de Verviers.