«Ça va encore nous retomber sur la gueule.»

Lofti, 29 ans, est découragé. Depuis la tragédie de Charlie Hebdo, ce Français d'origine algérienne a bien senti la montée de la méfiance envers sa communauté. Mais avec les attentats de vendredi, il craint que la tension augmente à la puissance 10. Selon lui, le ressac s'annonce douloureux pour les musulmans de France.

«Dès qu'on a vu ce qui s'est passé, c'est ça qu'on a pensé, explique le serveur du restaurant Sidi Rached, situé dans le quartier Barbès à Paris, zone réputée pour sa haute densité maghrébine. On l'a vu [...] avec les attentats de janvier. On a commencé à se sentir inconfortables partout. Dans le métro. Dans la rue. Dans l'administration. Là, c'est sûr, les gens vont se remettre à nous cibler. On a peur.»

Cette crainte semble partagée par le personnel de la mosquée Myrha, située quelques portes plus loin. La consigne est de ne pas parler aux journalistes. Plusieurs fidèles refusent de nous adresser la parole. «On n'a rien à voir avec ça», nous lance l'un d'eux, en remettant ses chaussures. «Je ne parle pas français», nous dit un autre.

Le bras droit de l'imam, un petit homme à barbichette prénommé Mohammed, finit par admettre que l'endroit est en «alerte orange». En janvier, dans les jours qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo, une vingtaine de mosquées ont été attaquées, certaines par des tirs, d'autres aux cocktails Molotov ou incendiées.

Par crainte de représailles, les sacs sont interdits depuis vendredi dans la mosquée. Tout comme les attroupements à l'extérieur de l'enceinte, qui pourraient faciliter des actes de vengeance islamophobe. «On essaie d'être prudent, résume Mohammed. Il ne faut pas attirer le mal»

Pour Mohammed, il est encore trop tôt pour bien mesurer la situation. «On n'a pas de recul», dit-il. Mais il sait d'emblée que les événements tragiques de vendredi dernier annoncent des lendemains difficiles pour sa communauté.

«On est touchés deux fois, dit-il. Comme Français et comme musulmans.»

Musulmans ciblés

Les chiffres ne mentent pas. Selon un rapport de l'Observatoire contre l'islamophobie, le nombre d'attentats visant des cibles musulmanes serait passé de 110 (pour les 9 premiers mois de 2014) à 330 (pour les 9 premiers mois de 2015). Pendant le mois de janvier 2015 seulement, on aurait dénombré 178 actes contre des musulmans, contre 14 pour janvier 2014.

Ces données sont «clairement reliées» aux attentats de Charlie Hebdo, souligne Abdallah Zakri, président de l'Observatoire. Selon lui, il est effectivement probable que les attentats de vendredi viennent exacerber le clivage entre les musulmans et une certaine frange de la population franco-française, qui confond à tort l'islam et le terrorisme.

«Il y a une crainte certaine, précise-t-il. Tous les rapports que j'ai reçus des imams dans les mosquées est que les gens ont peur de l'amalgame. Ils sont vigilants. Depuis Charlie Hebdo, les actes de représailles n'ont pas été seulement plus nombreux, mais aussi plus violents. Ce ne sont plus seulement des croix gammées dessinées sur les murs des mosquées...»

Aucun acte de violence n'a pour l'instant été recensé. Mais avec les élections régionales prévues en France en décembre, il est à craindre que le sentiment islamophobe soit récupéré à des fins politiques, croit M. Zakri.

«Pour le moment, tout le monde observe le deuil. Mais je ne me fais pas d'illusion. Je suis persuadé que dans un mois, il y aura un nouvel engrenage de discours haineux dans l'extrême droite.»

Rencontré sur un terrain de pétanque adjacent à la mosquée Myrha, Feycal se résigne pour sa part à ce qui semble être l'inévitable dénouement de cette histoire. «C'est encore Marine Le Pen et le Front national qui vont en profiter. Si elle cartonne aux régionales, alors on saura qu'elle a vraiment bien implanté son discours.»

Que sa communauté fasse tout pour justifier sa bonne foi et son patriotisme ne changera rien à la donne, conclut-il. Les préjugés sont tenaces.

«J'en ai marre de dire que ce n'est pas nous les terroristes...»