Au moins 35 000 personnes ont été condamnées pour terrorisme à travers le monde depuis les attaques du 11 septembre 2001. Et si plusieurs ont été incarcérées pour des attentats contre des hôtels ou des autobus, d'autres se sont retrouvées derrière les barreaux simplement pour avoir agité une affiche ou pour s'être exprimées en ligne.

Le premier recensement jamais effectué des arrestations et condamnations survenues dans le cadre de la lutte au terrorisme a permis à l'Associated Press de constater une hausse des mises en accusation entraînées par les nouvelles lois antiterrorisme -des lois fréquemment adoptées avec les encouragements et les incitatifs financiers de l'occident. Avant les attaques du 11-Septembre, quelques centaines de personnes seulement étaient condamnées pour terrorisme chaque année.

Le nombre exceptionnel de condamnations, auquel s'ajoutent quelque 120 000 arrestations, démontre que la guerre au terrorisme est maintenant livrée devant les tribunaux. La situation permet toutefois aussi de croire que des dizaines de pays profitent de la situation pour écraser la dissidence et emprisonner leurs détracteurs.

L'Associated Press a soumis des demandes d'accès à l'information dans des dizaines de pays, épluchant les données compilées par les forces de l'ordre et réalisant des centaines d'entrevues pour identifier les 119 044 personnes arrêtées pour terrorisme et les 35 117 condamnées dans 66 pays. L'ampleur réelle du phénomène est probablement nettement plus grande, puisque plusieurs pays ont refusé de collaborer.

On dénombre, seulement aux États-Unis, 2934 arrestations et 2568 condamnations, soit huit fois plus que pendant la décennie précédente.

L'enquête a aussi permis de constater que plus de la moitié des condamnations ont été imposées dans deux pays -la Chine et la Turquie- qui sont fréquemment accusés d'utiliser des lois antiterrorisme pour écraser la dissidence. La Turquie a prononcé à elle seule le tiers des condamnations.

«Le monde réalise de plus en plus que le terrorisme pose un danger bien réel et qu'il faut l'écraser dans l'oeuf, a expliqué John Bellinger, un ancien conseiller à la sécurité du gouvernement américain. Aussi, de plus en plus de pays autoritaires utilisent la menace bien réelle du terrorisme pour couvrir une répression qui ne tient pas compte des droits de la personne.»

La Turquie, qui compose de longue date avec une minorité kurde militante, arrive en tête de lice au chapitre des condamnations antiterroristes. Il s'agit aussi du pays où ces condamnations connaissent la progression la plus rapide.

Si la Turquie jette des Kurdes en prison depuis des années, elle a accéléré sa campagne contre l'autonomie kurde en 2006, quand elle a suivi l'exemple de ses voisins européens et révisé ses lois antiterroristes. Les nouvelles lois considèrent les manifestations comme des menaces à la sécurité, et réservent aux manifestants des peines comparables à celles reçues par des terroristes.

Les condamnations antiterroristes ont bondi de 273 en 2005 à 6345 en 2009, la dernière année pour laquelle des données soient disponibles. Une femme a ainsi écopé d'une peine de sept ans de prison pour avoir agité une affiche qu'elle était incapable de lire.

L'augmentation du nombre d'accusations pour activités terroristes présumées démontre à quel point la pratique est maintenant populaire. Son efficacité pour freiner la violence est toutefois plus questionnable.

La hausse du nombre d'arrestations pour terrorisme a été plus prononcée au Pakistan que dans n'importe quel autre pays examiné par l'Associated Press, notamment grâce à des milliards de dollars en aide américaine. Le nombre d'arrestations est passé de 1552 en 2006 à 12 886 en 2009, surtout en raison de quatre opérations militaires menées pendant cette dernière année. Plus de 29 000 arrestations auraient eu lieu depuis que le Pakistan a modifié ses lois contre le terrorisme, en 2004.

Pourtant, les attaques continuent à se multiplier au Pakistan, un pays qui arrive au deuxième rang mondial -derrière l'Irak- au chapitre des décès attribuables au terrorisme. De plus, les arrestations entraînent fréquemment des représailles encore plus violentes.

«C'est une question de résistance. Les terroristes veulent punir le gouvernement encore plus durement après l'arrestation de militants importants, et une façon de le faire est de tuer plusieurs personnes», a expliqué le policier Syed Ejaz Hussein, qui a étudié la question dans le cadre d'un doctorat obtenu à l'Université de la Pennsylvanie.

Dix ans après les attaques du 11-Septembre, la lutte contre le terrorisme bat toujours son plein. Mike Smith, le directeur du Comité antiterroriste des Nations unies, croit qu'il demeure «incroyablement important» de trainer les terroristes devant la justice.

«Ce ne sont pas des guerriers idéologiques, ce sont de simples criminels, a-t-il dit. Quand des poursuites sont lancées, ça enlève un peu de noblesse à ce qu'ils font.»

Mais presque tous les intervenants, y compris les États-Unis et les Nations unies, s'entendent pour dire que cela se fait parfois au détriment des droits de la personne. En 2005, les Nations unies ont nommé le Finlandais Martin Sheinin au titre de rapporteur spécial pour les droits de la personne et la lutte au terrorisme. Sa mission est d'étudier le déroulement des mises en accusation pour terrorisme. Après six ans, M. Sheinin maintient qu'il est important de poursuivre les terroristes, mais qu'une approche plus précise serait de mise.

«À l'origine, la stratégie était que plus les lois antiterroristes seraient musclées, plus le monde serait en sécurité. Mais c'était une grave erreur, a-t-il dit. Aujourd'hui, on comprend que la mauvaise utilisation des lois antiterroristes est nuisible pour les droits de la personne et même pour lutter contre le terrorisme.»