Le jeune officier pakistanais soupire en éloignant les curieux de ce qui restera comme la dernière demeure d'Oussama ben Laden, à Abbottabad (Pakistan): «Était-il vraiment ici? Tout ça, c'est comme le 11-Septembre, on ne sait même pas si ça a existé», dit-il.

Au Pakistan, allié des États-Unis dans leur «guerre contre le terrorisme» mais régulièrement accusé de soutenir les jihadistes internationaux, nombre d'habitants doutent toujours de l'implication de Ben Laden dans les attentats de New York et Washington il y a dix ans.

Posté au bout d'une rue en terre menant à la bâtisse dans laquelle des soldats d'élite américains ont tué Ben Laden le 2 mai, Abdullah (nom d'emprunt), à peine 30 ans, n'en dira pas plus, préférant humer l'air clément de cette bourgade nichée sur les premiers contreforts de l'Himalaya.

À quelques centaines de mètres, Wahab Khan Maseeb, 20 ans, sort de la faculté de médecine publique Ayub (AMC).

Ce jeune Pakistano-Américain en jeans, T-shirt et baskets et à la coupe d'adolescent soignée était à New York le 11 septembre 2001, dans une école de Brooklyn. Il y vit «le ciel rempli de cendres».

Mais Wahab hésite. Comme d'autres jeunes Pakistanais, il a vu Loose Change, un documentaire affirmant que la destruction des tours jumelles a été planifiée par le gouvernement américain. «C'était très convaincant...», dit-il.

L'anti-américanisme solidement ancré chez les Pakistanais a rendu les théories du complot américain permanent encore plus populaires: pour bon nombre, le 11-Septembre reste une «mise en scène fabriquée par les Américains», voire les «Juifs américains», pour pouvoir justifier l'invasion de l'Afghanistan et prendre pied en terre d'islam.

Le Pakistan a payé au prix fort son ralliement à Washington depuis 2001, monnayé à coup de milliards de dollars: les radicaux islamistes ont gonflé leurs rangs et orchestrent les représailles. Bilan de la décennie: plus de 35 000 morts, dont 3000 soldats, selon Islamabad.

Ces chiffres sont impossible à vérifier mais, selon un décompte de l'AFP, près de 4600 Pakistanais ont été tués depuis quatre ans dans quelque 500 attentats - suicide pour la plupart -, perpétrés essentiellement par les talibans alliés à Al-Qaïda après que Ben Laden en personne eut décrété la «guerre sainte» à Islamabad en 2007.

Une «guerre importée par les Américains», jugent une grande majorité des Pakistanais, conséquence de l'échec de l'intervention en Afghanistan. «Les États-Unis ont amené l'apocalypse, et nous n'en finissons plus de payer», regrette Mohammad Farooq, 57 ans, propriétaire terrien d'Abbottabad qui se demande lui aussi s'«il y a vraiment eu une attaque le 11-Septembre».

«Les théories du complot atteignent aujourd'hui un un niveau tel que même les plus éduqués y souscrivent», s'alarme le journaliste et écrivain Zahid Hussain.

Elles décrivent notamment Washington lié à l'Inde et à Israël, tous cherchant à détruire le Pakistan et le monde musulman. Seule puissance nucléaire militaire musulmane, le Pakistan est obsédé par la menace supposée venant de l'ennemi de toujours, l'Inde voisine.

Des théories du complot que les autorités se gardent bien de contester publiquement, ayant l'avantage d'éclipser d'embarrassants sujets tels que la corruption des élites politiques ou l'inefficacité d'une armée tombée de son piédestal, notamment après le raid d'Abbottabad.

La présence, en plein coeur d'une ville-garnison du Nord, du chef d'Al-Qaïda nourrit les soupçons de collusion entre les militaires et les extrémistes islamistes, qu'ils soutenaient autrefois pour défendre les intérêts du Pakistan en Afghanistan ou face à l'Inde.

L'armée appelle la population à se tenir «prête à défendre la mère patrie» face aux menaces extérieures.

Dans une tribune récemment publiée par le quotidien Le Monde, le sociologue pakistanais H. Hussein notait que les très puissants chefs militaires avaient tout intérêt à entretenir un climat de paranoïa pour continuer à imposer leur autorité aux civils.

Un avis partagé par le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, qui estime qu'au lieu «d'accuser l'inévitable troïka Inde/États-Unis/Israël de tous les maux du pays», Islamabad devrait plutôt reconnaître que «c'est en fait le soutien apporté par l'État à l'extrémisme qui détruit le pays».