Chaque année, au moment d'aborder le thème des attentats du 11-Septembre, Céline Benoît, qui donne le cours Monde contemporain en cinquième secondaire, fait la même expérience: à l'une de ses deux classes, elle fait une confidence. «L'examen n'aura pas lieu à la date prévue. Mais ne le dites pas aux élèves de l'autre groupe, ça doit rester entre nous.»

«Cinq minutes après que la cloche a sonné, c'est immanquable: un élève de l'autre classe vient me voir et dit : "Madame, c'est vrai que vous avez changé la date de l'examen?"», dit l'enseignante en riant.

Quel rapport avec le 11-Septembre? C'est que, dès que le thème est abordé, la cascade de théories du complot accapare toutes les discussions. Dont celle, coriace, selon laquelle Israël aurait prévenu des attaques 4000 Juifs, qui ne se seraient donc pas présentés au travail ce jour-là.

«Avec l'histoire du secret de la date d'examen, je veux les faire réfléchir à cette théorie, dit Céline Benoît. Quatre mille personnes peuvent-elles vraiment garder un secret?»

Mais le doute subsiste. Dans le local de l'école secondaire Mont-de-LaSalle, à Laval, où sont réunis une quarantaine d'élèves, ça discute ferme. L'hypothèse qui veut que le seul impact des avions n'ait pu suffire à faire s'écrouler les deux tours est populaire. «Avez-vous vu les images sur l'internet? disent-ils. C'est clair que les explosions ont été programmées.» Ces documentaires, qui s'appuient sur des analyses hautement controversées, les impressionnent visiblement.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse.

Des élèves de secondaire 5 de l'école Mont-de-La Salle à Laval discutent des attentats du 11 septembre 2001. Ils échangent sur les souvenirs qu'ils ont de l'événement et sur les conséquences de ce dernier sous l'oeil attentif de l'enseignante Céline Benoît.

Mais au fond de la classe, Abdel Raouf proteste: «N'importe quel type qui présente des preuves scientifiques peut nous faire avaler des conneries!»

Céline Benoît et son collègue, Pascal Debien, encouragent ces débats. Après tout, le cours Monde contemporain n'est pas un cours d'histoire, mais d'actualité. On traite des attentats dans le module «Tensions et conflits» afin d'illustrer le terrorisme religieux, avant d'aborder les guerres en Irak et en Afghanistan.

Les élèves sont très critiques du rôle des États-Unis. «Ils ont tendance à généraliser, à dire que les Américains sont tous comme ci, ou comme ça, dit Mme Benoît. Je leur renvoie l'image: alors les Arabes sont tous des terroristes?»

Les deux profs cherchent autant à inciter les élèves à douter de ce qu'ils lisent sur l'internet qu'à leur apprendre ce qui s'est passé avant les attaques. Car, évidemment, l'idée que «le monde a changé» après le 11-Septembre est abstraite pour ces jeunes, qui avaient 6 ou 7 ans lors des attaques. Ils se souviennent d'avoir vu pleurer leurs parents et leurs profs ; certains se rappellent qu'ils ont eu peur, d'autres, qu'ils ont été perturbés par les images à la télé. Beaucoup n'étaient pas encore arrivés au Canada. Stéphanie se souvient que c'était la nuit en Côte d'Ivoire. «Et les gens haussaient les épaules.»

Puis une élève lance inopinément: «Madame, vous nous parlez du 11-Septembre, mais ce n'est pas si important comme événement!»

Qu'est-ce donc qui a changé le monde, selon eux? Le séisme en Haïti. Le tsunami au Japon. Le printemps arabe. «Le 11-Septembre, on en parle seulement parce qu'il y a eu 3000 morts aux États-Unis, dit Stéphanie. Mais quand ça arrive en Afrique ou dans un autre pays, on s'en fiche.»

Photo: Marco Campanozzi, La Presse.

Des élèves de secondaire 5 de l'école Mont-de-La Salle à Laval discutent des attentats du 11 septembre 2001. Ils échangent sur les souvenirs qu'ils ont de l'événement et sur les conséquences de ce dernier sous l'oeil attentif de l'enseignante Céline Benoît.