À quel moment précis Charles Burlingame, pilote de l'avion d'American Airlines qui s'est abattu sur le Pentagone, est-il mort?

C'est en tentant de répondre à cette question que sa soeur, Debra Burlingame, a entamé la trajectoire qui devait faire d'elle la porte-parole la plus redoutable des familles des victimes du 11-Septembre. Avec Liz Cheney, fille de l'ex-vice-président des États-Unis, et William Kristol, rédacteur en chef de l'hebdomadaire The Weekly Standard, elle a aussi fondé l'organisation Keep America Safe.

«Connaissant mon frère, ancien pilote de combat, je savais que le pire aurait été qu'il soit encore vivant quand l'avion a percuté l'édifice. Cela aurait été pour lui une forme de torture», explique Debra Burlingame dans un hôtel de Manhattan, où la banlieusarde aux cheveux blonds a accepté de rencontrer La Presse après de longs pourparlers.

«Il me fallait donc tout savoir sur ce qui s'était passé dans l'avion. Cela signifiait lire tous les articles de journaux et tous les rapports officiels.»

Debra Burlingame a fini par acquérir la conviction que son frère avait rendu l'âme dans le cockpit du Boeing 757 au terme d'un combat violent qui lui a épargné les derniers moments du vol 77, à bord duquel se trouvaient 53 passagers, 6 membres d'équipage et 5 terroristes. Elle a tiré une certaine consolation de cette découverte. Mais sa colère n'était pas épuisée pour autant. Elle n'était plus seulement en rage contre les auteurs des attentats. Elle était également en furie contre un système dont elle a découvert les nombreuses failles en lisant le premier rapport du Congrès sur le 11-Septembre.

Pour la première fois, elle a alors pris toute la mesure des ratages qui avaient empêché les agences gouvernementales, dont la CIA et le FBI, de voir l'imminence des attentats du 11-Septembre.

«La lecture de ce rapport marque probablement le moment où, de la soeur éplorée qui veut savoir ce qui est arrivé à son frère dans le cockpit, je suis passée à une citoyenne vraiment préoccupée par l'infrastructure de sécurité de son pays», dit Debra Burlingame.

Dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, l'ex-avocate et productrice de la chaîne CourtTV ne se laisse plus dominer par la colère. Sa nature chaleureuse se manifeste même avec les journalistes, dont elle a pourtant tendance à se méfier. Mais sa combativité peut refaire surface à tout moment, comme ce fut le cas lors de la controverse autour du projet de construction d'une mosquée et d'un centre culturel islamique près de Ground Zero.

«Construire une mosquée de 15 étages à Ground Zero est une provocation qui fera couler encore plus de sang au nom d'Allah, avait-elle déclaré à l'époque, rejetant d'emblée l'argument de la liberté de culte. Ceux qui continuent à cibler et à tuer des civils et des soldats américains verront cela comme un symbole de leur progrès historique sur les lieux de leur victoire la plus sanglante.»

Debra Burlingame a défendu avec la même ardeur la plupart des décisions de l'administration Bush en matière de sécurité nationale, y compris le Patriot Act, les tribunaux militaires d'exception de Guantánamo, les techniques d'interrogatoire «renforcées» et le programme de surveillance électronique de la NSA.

«Je n'étais pas soldate de l'administration Bush, dit Debra Burlingame, qui a également contribué à la création de l'organisation 9/11 Families for a Safe and Strong America. Mais je ressentais une certaine obligation d'aider à rétablir la vérité sur ce que faisaient nos gars à Guantánamo. C'était des gars de 18, 19 ans, dont plusieurs se sont enrôlés à cause du 11-Septembre, qui étaient accusés par des membres du Congrès, et pas seulement par des organisations de défense des droits de l'homme, de se conduire comme des bourreaux nazis. Je trouvais ça révoltant.»

Après l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche, Debra Burlingame a joué un rôle-clé dans la campagne contre la fermeture de Guantánamo et le renvoi de Khalid Cheikh Mohammed, cerveau des attentats du 11-Septembre, devant un tribunal de droit commun à New York. Dans ces deux dossiers, elle peut crier victoire: l'administration Obama a annoncé en mai le rétablissement des tribunaux militaires d'exception à Guantánamo, où Khalid Cheikh Mohammed sera jugé.

Mais elle déplore la décision du ministre de la Justice, Eric Holder, de confier à un procureur fédéral la mission d'enquêter sur les mauvais traitements que la CIA aurait infligés à de présumés terroristes. Selon elle, il ne fait aucun doute que les techniques d'interrogatoire «renforcées» de la CIA, que certains ont assimilées à de la torture, ont contribué à l'élimination d'Oussama ben Laden, une opinion qu'elle a communiquée directement à Barack Obama lors de la cérémonie qui a eu lieu à Ground Zero quelques jours après la mort du chef d'Al-Qaïda.

«Je lui ai dit que nous ne serions pas là en train de célébrer sans le travail des agents de la CIA qui ont eu recours aux techniques d'interrogatoire renforcées. J'ai ajouté que je trouvais incroyable qu'un procureur spécial soit en train d'enquêter sur leur rôle.»

Au moment d'écrire ces lignes, Debra Burlingame n'avait pas eu gain de cause dans ce dossier. Mais son combat n'était pas fini.