Des violences domestiques invoquées comme premier facteur d'exil, un parcours migratoire décidé seul, une destination finale, l'Europe, pas forcément voulue au départ: une étude bouleverse les idées reçues sur les raisons conduisant les mineurs africains à rejoindre le Vieux continent.

Douze mille mineurs sont arrivés en Italie depuis l'Afrique au premier semestre 2017; 93% ont voyagé seuls. Le réseau Reach (porté par le centre de recherches suisse Impact et l'ONG française Acted), a détaillé leurs profils, motivations et expériences migratoires.

D'après cette étude réalisée en partenariat avec le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), portant sur 720 d'entre eux, les mineurs africains qui ont utilisé la «route centrale méditerranéenne» à partir de l'Afrique de l'Ouest, via la Libye, ont pris leur décision seuls, sans en informer leurs familles.

Presque tous de sexe masculin et âgés de 16-17 ans, 75% d'entre eux ont choisi de migrer «individuellement». Dans 11% des cas seulement, cette décision a été prise de manière concertée avec leur famille, «contrairement à ce que la littérature sur les migrations suggère», pointe l'étude.

Dans sept cas sur dix, leur départ est lié à des violences, conflits ou exploitations, dont les plus fréquents survenus «à la maison». Les enfants gambiens invoquent ainsi les «violences domestiques» comme premier facteur d'exil (47%) quand les Guinéens mentionnent des «persécutions politiques ou religieuses» (31%).

La crainte d'un mariage forcé est le motif avancé par deux filles sur cinq, souligne l'UNICEF.

«Il y a beaucoup plus de raisons qui poussent les enfants à fuir leur pays que de raisons qui les attirent en Europe, ce qui est très loin du discours entendu ici», observe Sarah Crowe, porte-parole de l'UNICEF.

Autre surprise, moins de la moitié des adolescents interrogés en Italie (46%) sont «partis de chez eux dans le but de rejoindre l'Europe». La majorité avait choisi de vivre dans un pays voisin du leur (Mali, Sénégal, Burkina Faso...) et, surtout, de migrer en Afrique du Nord, en Algérie et principalement en Libye.

«Besoins psychologiques»

«L'Europe n'est pas vraiment la destination finale», analyse Giulia Serio, qui a mené les entretiens en Italie pour le réseau Reach et se surprend de «l'attractivité de la Libye», vue comme un pays «d'opportunités professionnelles».

«Dans la plupart des cas, les mineurs n'étaient pas au courant de la situation de risque en Libye», qui a sombré dans le chaos depuis la chute du régime de Kadhafi en 2011, dit-elle à l'AFP.

Alors que 98% d'entre eux y ont passé plus d'un mois, tous «ont uniformément parlé de leur séjour en Libye comme de l'étape la plus traumatisante de leur voyage», marquée notamment par des privations de nourriture, note le rapport.

69% des jeunes affirment être restés dans ce pays contre leur volonté, 46% y avoir été kidnappés ou emprisonnés contre rançon et 23% arrêtés.

«Les besoins psychologiques sont énormes pour ces jeunes dans les centres d'accueil après les tortures dont ils ont été victimes», note Mme Serio.

Leur parcours migratoire a duré en moyenne un an et deux mois, selon l'étude. Beaucoup ont travaillé en cours de route pour payer la suite de leur voyage.

Le rapport s'est également penché sur la situation des migrants mineurs isolés en Grèce. Cent trente y ont été interrogés. Venus de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan ou du Pakistan par «la route méditerranéenne orientale», via la Turquie, leurs parcours diffèrent de ceux des Africains.

90% d'entre eux sont arrivés en famille en Europe, au terme d'un voyage qui en moyenne avait duré de un à trois mois au printemps 2016. Les raisons migratoires invoquées sont très majoritairement «la guerre», un «conflit» ou des «raisons politiques». Seuls 2000 des quelque 20 000 mineurs actuellement recensés en Grèce sont isolés.

Dans leur cas, hors séparations intervenues en chemin, «il y a souvent une organisation familiale derrière ce voyage, vu comme une opportunité pour qu'un des enfants fasse des études quand ce n'est pas possible dans le pays d'origine», explique Vincent Annoni, coordinateur de Reach, interrogé par l'AFP.

Un voeu «tristement» difficile à réaliser une fois sur place, regrette Sarah Crowe.