L'UE et la Turquie ont conclu vendredi un accord inédit et controversé, censé mettre un coup d'arrêt à l'afflux de migrants vers l'Europe, mais dont la mise en oeuvre promet d'être d'une grande complexité.

La mesure phare de cet accord, «temporaire et extraordinaire», prévoit le renvoi vers la Turquie de tous les nouveaux migrants qui arriveront à partir de dimanche sur les îles grecques, y compris les demandeurs d'asile comme les Syriens fuyant la guerre.

«Nous avons enfin conclu un accord entre la Turquie et l'UE», s'est félicité le président du Conseil européen, Donald Tusk, qui a mené les négociations avec la Turquie au nom des 28 États membres.

«C'est un jour historique», a lancé de son côté le premier ministre turc Ahmet Davutoglu. «Nous avons réalisé aujourd'hui que la Turquie et l'UE avaient la même destinée».

Alors qu'une crise humanitaire guette en Grèce, où 46 000 migrants sont bloqués dans des conditions déplorables devant une «Route des Balkans» désormais fermée, la pression était maximale sur les Européens pour trouver enfin une solution à la crise.

Débordée par l'arrivée de 1,2 million de migrants fuyant pour la plupart la Syrie, l'Irak et l'Afghanistan l'an dernier, l'UE s'est divisée comme jamais ces derniers mois sur la réponse à apporter, entre accueil généreux pour raisons humanitaires et frontières se fermant unilatéralement.

«Pas fiers»

Certains États membres étaient réticents jusqu'au dernier moment, craignant une illégalité du renvoi de demandeurs d'asile ou rechignant à faire trop de concessions à la Turquie, taxée par certains de dérive autoritaire.

«Ce n'est pas un très bon accord, mais on est bien obligé. Personne n'en est fier, mais on n'a pas d'alternative», a résumé un diplomate européen.

L'ONU avait mis en garde contre un «risque de possibles expulsions collectives et arbitraires», mais la Commission européenne a assuré que le mécanisme prévu était dans les clous du droit international.

Des procédures individuelles seront garanties à chaque demandeur d'asile qui arrivera sur les côtes grecques à partir de dimanche, avec un examen individualisé de sa requête et le droit de faire appel de la décision de renvoi.

«C'est un travail herculéen qui nous attend, et spécialement la Grèce», a reconnu le président de l'exécutif européen Jean-Claude Juncker. Une logistique complexe va en effet devoir être mise en place sur les îles grecques en un temps record, avec notamment l'envoi de juges sur place.

Pour chaque Syrien renvoyé, les Européens se sont engagés à «réinstaller» dans l'UE un autre Syrien depuis la Turquie. Ce dispositif sera plafonné à 72 000 places offertes en Europe, dans le cadre d'engagements déjà pris par les pays européens, mais pas encore concrétisés.

Ces renvois «commenceront à partir du 4 avril», a assuré la chancelière allemande Angela Merkel, qui a joué un rôle clé dans la conclusion de cet accord, quitte à froisser des partenaires européens agacés par ses initiatives.

Outre les questions légales, plusieurs États membres ont pesé pour limiter les contreparties offertes à la Turquie.

«Il n'est pas question de brader nos valeurs», avait prévenu le premier ministre belge Charles Michel jeudi, en rappelant les critiques de l'UE à propos des attaques du régime islamoconservateur de Recep Tayyip Erdogan contre la liberté de la presse ou sur le conflit kurde.

«Marchandage»

Les Européens ont accepté d'accélérer le processus de libéralisation des visas pour les ressortissants turcs, mais en affirmant qu'ils ne transigeraient pas sur les critères à remplir.

Ils ont aussi réussi à surmonter les fortes réserves de Chypre, pour promettre à la Turquie d'ouvrir un nouveau chapitre (sur les finances et le budget) dans ses négociations d'adhésion à l'UE.

Sur le plan financier, l'UE s'engage à «accélérer» le versement de l'aide de 3 milliards d'euros déjà promise à la Turquie pour y améliorer les conditions de vie des quelque 2,7 millions de réfugiés qu'elle accueille. Et elle a ouvert la porte à une nouvelle enveloppe du même montant d'ici fin 2018.

Face aux critiques, les Européens ont répété qu'il fallait un signal fort pour «briser le business model des passeurs» et mettre fin au trafic d'êtres humains» en mer Égée où plus de 460 migrants sont morts noyés depuis le début de l'année.

Depuis le début l'année, plus de 143 000 personnes sont arrivées en Grèce via la Turquie. À elle seule, la Grèce a vu passer plus d'un million de migrants l'an dernier.

La fermeture ces dernières semaines de la «Route des Balkans» a placé la Grèce dans une situation intenable. «Ceci est comme un (camp de) Dachau des temps modernes, le résultat de la logique des frontières fermées», a déploré vendredi le ministre grec de l'Intérieur Panagiotis Kouroublis en visitant Idomeni, à la frontière avec la Macédoine désormais fermée.

L'UE s'est aussi dite prête à réagir si un déplacement des routes migratoires, vers la Libye ou la Bulgarie, se concrétisait. Alors que le printemps n'est même pas entamé, plusieurs milliers de migrants venus de Libye ont été secourus en trois jours dans le sud de la Méditerranée, faisant craindre un nouveau front dans la crise migratoire.