Les dirigeants de l'UE s'attendaient à des tractations difficiles jeudi soir à Bruxelles, pour boucler un accord avec la Turquie censé stopper l'afflux de migrants vers l'Europe, malgré un «compromis» possible esquissé par des Chypriotes jusqu'alors très réticents.

Plusieurs États membres craignent une illégalité de la mesure phare du plan en négociation, qui prévoit un renvoi de tous les nouveaux migrants arrivant en Grèce depuis la Turquie, y compris les demandeurs d'asile. D'autres redoutent d'aller trop loin dans les contreparties promises à Ankara.

Le sommet réuni à Bruxelles ne devait aborder la brûlante crise migratoire que dans la soirée, lors d'un dîner qui s'annonçait tendu. Les Européens recevront ensuite vendredi le premier ministre turc Ahmet Davutoglu.

«Je suis prudemment optimiste, mais pour parler franchement, je suis plus prudent qu'optimiste», a résumé le président du Conseil européen Donald Tusk, chargé par les 28 de négocier avec Ankara, malgré les courts-circuitages de Berlin.

«Il y a encore des négociations compliquées», a aussi reconnu la chancelière allemande Angela Merkel, qui a joué un rôle majeur dans les tractations avec la Turquie. Elle a dit partager «l'optimisme prudent» de M. Tusk, à son arrivée au sommet.

Un accord avec la Turquie permettrait d'arrêter les flux de migrants vers l'UE «en trois, quatre semaines», a lui souligné le premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE.

Depuis le début l'année, plus de 143 000 personnes sont arrivées en Grèce via la Turquie, portant à plus d'un million les entrées en Grèce par terre et mer depuis janvier 2015 de migrants fuyant pour la plupart la Syrie en guerre, l'Irak et l'Afghanistan, selon le HCR.

Cet afflux, combiné avec la fermeture de la «Route des Balkans», place la Grèce, et les milliers de migrants qui y sont bloqués, dans une situation intenable. Et accentue la pression pour que les Européens s'entendent avec la Turquie.

«Très compliqué»

Les Européens ont été surpris de l'ampleur de la nouvelle «proposition turque» présentée lors du précédent sommet du 7 mars : Ankara se dit désormais disposé à reprendre tous les nouveaux migrants gagnant les îles grecques, y compris les demandeurs d'asile.

L'idée a de quoi séduire une Union débordée, mais le contenu du projet d'accord pose de nombreux problèmes, comme celui de donner à la Turquie la clé de la frontière extérieure de l'Union, selon ses détracteurs.

Au milieu d'un concert de critiques, l'ONU a mis en garde contre l'illégalité de «possibles expulsions collectives et arbitraires» vers la Turquie.

Le projet «est très compliqué, sera difficile à mettre en oeuvre et se trouve à la limite du droit international», a résumé jeudi la présidente lituanienne Dalia Grybauskaité.

La Commission européenne a assuré que tout accord respecterait le droit, promettant que chaque demandeur d'asile se verrait garantir un traitement individuel de sa requête et des moyens de recours contre un renvoi vers la Turquie.

Aux termes du pré-accord, les Européens s'engageraient, pour chaque Syrien renvoyé, à «réinstaller» dans l'UE un autre Syrien depuis la Turquie. Ce dispositif, «temporaire et extraordinaire», serait dans un premier temps limité à 72 000 places offertes en Europe.

«Chantage»

En contrepartie, la Turquie obtiendrait une nouvelle aide substantielle de l'UE, doublant la promesse de trois milliards d'euros pour améliorer les conditions de vie sur son sol des 2,7 millions de réfugiés syriens qu'elle accueille.

Ankara arracherait également une accélération du processus de libéralisation des visas pour ses ressortissants, ainsi qu'une relance de ses négociations d'adhésion à l'UE, bloquées par le contentieux historique avec Chypre.

«La Turquie n'est pas mûre pour une adhésion. Et je crois que ce ne sera pas encore le cas dans dix ans», a voulu rassurer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Jusqu'alors inflexible sur la possibilité de promettre à la Turquie l'ouverture rapide de nouveaux chapitres dans ses négociations d'adhésion, le président chypriote Nicos Anastasiades a entrouvert une porte jeudi, disant espérer «un compromis durant les délibérations qui vont suivre».

Alors que plusieurs pays de l'UE renâclent à s'entendre avec un pouvoir islamoconservateur accusé de dérive autoritaire, le président Recep Tayyip Erdogan a réclamé mercredi la levée de l'immunité de parlementaires prokurdes.

Et le magazine allemand Der Spiegel a dénoncé jeudi une atteinte «à la liberté de la presse» après que son correspondant en Turquie a été contraint de quitter le pays, son accréditation n'ayant pas été renouvelée par les autorités.

«Il n'est pas question de brader nos valeurs», a prévenu le premier ministre belge Charles Michel, disant ne pas accepter «une négociation qui ressemble parfois à une forme de chantage».