D'où venez-vous? De Syrie, répondent la majorité des demandeurs d'asile en route vers le nord de l'Europe. Mais les Syriens ne sont pas les seuls qui sont prêts à tout pour fuir leur pays dévasté. Il y a aussi beaucoup d'Irakiens. Et des Afghans, comme ceux que notre journaliste a rencontrés au tout nouveau camp de transit d'Opatovac, dans le sud de la Croatie.

Ils sont cinq gars, cousins et amis. Celui qui parle le mieux anglais s'appelle Bakhram Sakhizada, il a tout juste 20 ans et il vient de décrocher son diplôme de génie à l'Université de Kaboul.

Mais en Afghanistan, il n'y a pas de travail, et s'il n'y a pas de travail, c'est parce qu'il y a la guerre, explique Bakhram, rencontré au tout nouveau camp de transit d'Opatovac, établi en 24 heures par les autorités croates après une semaine de débordements chaotiques à la frontière avec la Serbie.

En une semaine, 29 000 personnes ont franchi le poste-frontière qui sépare la ville serbe de Sid de sa voisine croate, Tovarnik. Depuis hier, plus question de les laisser s'installer dans les rues autour de la gare ferroviaire. La police croate vient les cueillir directement à la frontière et les emmène en autobus vers le camp d'Opatovac, installé sur le terrain abandonné d'une ancienne société pétrolière.

Des rangées de tentes, des matelas de sol, des latrines, des postes médicaux, des douches - et des grappes d'hommes, de femmes et d'enfants qui attendent de reprendre la route.

C'est là que je rencontre Bakhram, ainsi que les cousins et copains avec qui il voyage depuis exactement un mois et vingt jours.

Bakhram vivait à Kaboul, mais il est originaire de la province afghane de Ghazni, qui abrite une importante minorité hazara - les musulmans chiites d'Afghanistan, persécutés par les talibans.

Il a fui l'Afghanistan pour échapper à l'insécurité qui détruit l'économie de son pays. «Même à Kaboul, la vie est devenue trop dangereuse.» Sa route a été plus longue et plus complexe que celle des réfugiés syriens. De l'Afghanistan, il a rejoint le Pakistan, puis l'Iran, puis la Turquie, avant d'atteindre la Grèce. Le pire, c'était le passage du Pakistan à l'Iran, où le petit groupe a été victime d'une tentative d'escroquerie. Puis, les 22 heures de marche dans les montagnes vers la Turquie.

Bakhram et ses compagnons sont arrivés dimanche au camp d'Opatovac, où des dizaines de grandes tentes de toile verte abritent les migrants.

Ici, plus question d'aller se promener en ville pour aller recharger un cellulaire ou acheter un paquet de cigarettes. Hier, quelque 1500 personnes venaient d'arriver dans ce camp prévu pour être un lieu de passage vers la Hongrie. Théoriquement, c'est une escale de 24 heures. Mais avec le flot ininterrompu de nouveaux arrivants, le séjour pourrait se prolonger. On risque l'engorgement.

Le camp est protégé par une barrière que les migrants n'ont pas le droit de traverser, sauf pour monter dans l'autobus qui leur fera franchir une nouvelle étape de leur périple. Les nuits sont fraîches, ces jours-ci, et plusieurs personnes rencontrées hier se plaignaient du froid. Mais surtout, elles ont hâte d'arriver à destination. Soit, pour la majorité d'entre eux, l'Allemagne, où Bakhram est attendu par son jeune frère de 16 ans, arrivé quelques semaines plus tôt.

«Je veux quitter cet endroit, ça fait trois jours que je n'ai pas pu appeler ma famille, je veux me rendre en Allemagne, je peux marcher», proteste le jeune homme, en jurant que si son pays, l'Afghanistan, n'était pas déchiré par une guerre civile, il ne l'aurait jamais quitté.

Aux yeux du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies, 80% des migrants actuels fuient des pays en guerre. Parmi ces pays, il y a l'Afghanistan.

L'escale

Même s'il s'agit d'un arrêt temporaire sur la longue route de l'exil, le camp d'Opatovac offrait hier de bien meilleures conditions aux demandeurs d'asile que la gare ferroviaire chaotique de Tovarnik et ses rues avoisinantes. Ils y ont accès à des installations sanitaires, des services médicaux et, surtout, un toit de toile au-dessus de la tête.

Les autorités croates ont pris les choses en main après une semaine d'arrivées massives et ininterrompues, se félicitait hier Ralph Gruenert, coordonnateur des opérations d'urgence du HCR.

Mais le jeu de ping-pong entre les pays européens qui se renvoient la responsabilité d'accueillir les centaines de milliers de demandeurs d'asile n'est pas terminé pour autant. Hier, le ministre de l'Intérieur de la Croatie, Ranko Ostojic, a appelé la Grèce à cesser de laisser passer ce flot humain sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale pour le refiler au reste de l'Europe. Il en sera sûrement question aujourd'hui, à la rencontre des ministres de l'Intérieur de l'Union européenne.

«Ce n'est absolument pas acceptable que la Grèce vide ses camps de réfugiés et envoie les gens vers la Croatie, via la Macédoine et la Serbie», a plaidé le ministre Ostojic.

Après des tentatives de bloquer les frontières, les pays qui se trouvent sur la route de ce vaste exode, incluant la Hongrie, ont rouvert leurs portes à des passages contrôlés via des corridors routiers par où transitent les autobus remplis de migrants.

Mais ni les nuits fraîches de ce début d'automne, ni les conditions maritimes moins clémentes, ni le risque de rester coincé quelque part entre la Grèce et l'Allemagne ne viennent ralentir ce déplacement humain massif. Hier matin, environ 200 demandeurs d'asile ont été transportés du camp d'Opatovac vers la frontière hongroise. Au même moment, 2500 autres attendaient d'entrer en Croatie.