Devant l'afflux de migrants en Europe, la France s'est engagée à accueillir 24 000 réfugiés syriens, irakiens et érythréens. Parmi eux, un millier de demandeurs d'asile arrivés en Allemagne, au début du mois de septembre, que des représentants du gouvernement français sont allés chercher directement à Munich. Ceux qui ont accepté l'invitation ont été traités comme des rois. Pendant ce temps, des dizaines de réfugiés syriens pataugent dans la boue à Paris. La Presse vous invite à un voyage entre le paradis et l'enfer.

Quand il a entendu un représentant de l'Office français de protection des réfugiés vanter les charmes de la France, dans un centre pour migrants qui venaient d'arriver à Munich, il y a une dizaine de jours, Nour Shekmany a d'abord cru qu'il s'agissait d'une blague.

«Nous voulions tous aller en Allemagne, ou aux Pays-Bas ou encore en Norvège, mais personne ne pensait à la France», confie ce jeune Syrien, rencontré à Cergy, ville universitaire située à 40 minutes de train de Paris.

Il faut croire que l'agent français qui s'était présenté au centre de réfugiés de Munich était convaincant. Et aujourd'hui, Nour Shekmany, comptable de 22 ans originaire de Damas, croit qu'il a peut-être eu droit à un miracle.

Il fait partie d'un groupe de 96 réfugiés qui passeront les deux prochains mois à l'Île des loisirs, un complexe bucolique établi à Cergy, sur les rives de l'Oise.

Les responsables de l'Île des loisirs ne ménagent pas les efforts pour rendre leur séjour le plus agréable possible. Leurs invités, des Syriens pour la plupart, mais aussi quelques Irakiens, dorment dans des chambres coquettes. Ils peuvent suivre des cours de français, bénéficier de soins médicaux et ont reçu la visite de représentants de la préfecture, pour enregistrer leur demande d'asile avec l'aide d'un interprète. Une procédure qui, autrement, peut s'empêtrer dans des mois de délais bureaucratiques.

Et ce n'est pas tout. Dans les jours qui viennent, ils pourraient avoir accès à des vélos, à l'internet haute vitesse et peut-être même à un spectacle de cirque, assure le directeur du centre, Sylvain de Smet, qui espère aussi organiser des sports aquatiques pour les réfugiés. «Vous savez, nous avons la plus grosse installation de vagues de surf au monde!»

Nour Shekmany n'a pas trop la tête au surf en ce moment. Parti de Damas avec son frère cadet, le 28 août, il a mis le cap sur le Liban, puis la Turquie, d'où il s'est embarqué jusqu'à la Grèce. Puis, il y a eu la pénible remontée: Macédoine, Serbie, Hongrie, Autriche, Allemagne.

Douze jours de périple épuisant, avec un passage angoissant en Hongrie, où les deux frères ont été séparés alors qu'ils tentaient de fuir la police.

Aujourd'hui, l'atmosphère feutrée de l'Île des loisirs lui paraît un peu surréelle. «C'est le plus beau camp de réfugiés au monde!» Le président François Hollande est venu rendre visite aux réfugiés de Cergy la semaine dernière. «Il nous a dit que nous allions pouvoir réaliser nos rêves en France, mais qu'il fallait être patient», dit Nour en exhibant un égoportrait avec le président Hollande sur son téléphone.

Le rêve

Quand ils sont arrivés à Cergy, il y a 10 jours, les 96 demandeurs d'asile étaient «épuisés, sonnés», témoigne Abdallah Rguigue, qui agit comme interprète pour l'organisation humanitaire Secours catholique.

La moitié d'entre eux ont besoin de soins médicaux, un des réfugiés a même dû subir une intervention au coeur dès son arrivée. Mais le pire est derrière eux.

La population de cette ville universitaire de 50 000 habitants contribue à alimenter le rêve. Des Cergyssois ont constitué une chaîne de solidarité pour aider «leurs» réfugiés. Un homme est passé prendre la mesure des pieds des nouveaux arrivants et est revenu avec des chaussures neuves. Dans la cour du centre de villégiature, une fillette roule sur des patins à roulettes, cheveux au vent: un autre cadeau de la communauté.

Mais combien de temps ce rêve durera-t-il? Les demandeurs d'asile doivent habiter huit semaines dans leur bulle de verdure. Mais après? Cergy n'est pas une ville riche. «Ici, 42% des habitants ont un revenu non imposable», précise le journaliste Jérôme Cavaretta, de la Gazette du Val d'Oise. Et la liste d'attente pour les logements sociaux compte 3000 noms.

«Ça nous inquiète un peu, il ne faut pas puiser dans le parc des logements sociaux pour loger les demandeurs d'asile», dit Josiane Carpentier, responsable des services sociaux à la mairie de Cergy.

«Pour l'instant, il y a un grand élan de solidarité, mais plus tard, ça pourrait râler», anticipe Jérôme Cavaretta.

Le chauffeur de taxi qui me conduit à l'Île des loisirs n'attend pas à plus tard... «Ils ont le droit à des logements d'urgence, mais nous, on n'en trouve pas pour ceux qui crèvent dans nos rues! On n'a aucune prise sur les gens qui viennent, il y a peut-être parmi eux des islamistes, des tortionnaires?», ronchonne-t-il, faisant écho au discours de Marine Le Pen, la chef du Front national.

Les écueils

Le principal écueil des demandeurs d'asile en France, c'est le logement. L'État promet de fournir un logement aux personnes en attente de statut. Mais des 60 000 déjà inscrits, à peine le tiers a pu trouver une adresse dans l'un des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA). Les autres vivent dans une extrême précarité.

Ces centres sont dans un état de «saturation extrême», déplore Florent Guégain, directeur de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, qui réclame 20 000 places d'hébergement supplémentaires.

En juin, le gouvernement a voté un budget supplémentaire d'environ 100 millions de dollars pour l'accueil de nouveaux demandeurs d'asile. Maintenant, il promet 1500$ par réfugié pour les villes qui en accepteront. Et l'ouverture de 11 000 nouvelles places d'hébergement. Est-ce assez? Pas sûr.

L'autre écueil, c'est le travail. La France affiche un taux de chômage de 10,5%. C'est ce qui inquiète Omran Qassar, jeune économiste de Damas qui vient d'atterrir à Cergy.

Il a quitté Damas le lendemain de son dernier examen universitaire, pour échapper à la conscription. «Ceux parmi mes amis qui n'avaient pas assez d'argent pour partir sont déjà dans l'armée.»

Lui non plus n'avait jamais imaginé aboutir en France: «Je me demande encore comment ils ont fait pour me convaincre!»

«Je savais qu'il y a du chômage en France, je pense à l'avenir, et je pense aux emplois», dit Omran Qassar, qui veut maintenant entreprendre une maîtrise, travailler, bref, mener une vie «normale et productive».

Et qui croise les doigts pour que le rêve français qu'on lui a fait miroiter à Munich se réalise.

Réfugiés dans la boue

La pluie qui s'abat sur Paris transforme peu à peu l'allée longeant la bretelle du boulevard périphérique, près de la porte de Saint-Ouen, en une coulée de boue.

Des familles se terrent dans une quinzaine de tentes multicolores, don des Médecins du monde. L'une d'entre elles abrite la famille d'Ahmad et Najma, couple dans la jeune vingtaine, venus en France avec leurs deux bambins, leur mère, leur soeur, d'autres enfants... Au total, une dizaine de personnes, réunies sur un fatras de couvertures pour un repas de baguettes et de poulet rôti - don d'un homme barbu qui se dit Algérien.

Ahmad et Najma viennent de Homs, en Syrie, et sont arrivés à Paris il y a un mois. Ils ont pris un autre chemin que celui des milliers de réfugiés que l'on voit cheminer vers le nord de l'Europe. Eux, c'était l'Algérie, puis le Maroc, d'où ils ont atteint l'enclave espagnole de Melilla.

Ces familles disent avoir déjà déposé leur demande d'asile en Espagne.

Mais ce pays n'aide pas financièrement les demandeurs d'asile. La France, si, à raison d'une allocation de moins de 500 $ par mois. C'est une des raisons qui les ont conduites ici, dans cette rue sale et bruyante.

Il n'est toutefois pas clair qu'elles pourront faire traiter leur dossier en France. Normalement, la France pourrait les renvoyer vers l'Espagne, leur pays d'entrée sur le territoire européen. Mais si elle prend la peine d'aller chercher des réfugiés en Allemagne, pourquoi ne pas s'occuper de ceux qui sont déjà sur son territoire ?

Aide aux réfugiés

Des bénévoles viennent quotidiennement donner un coup de main aux « campeurs. » De la nourriture, des vêtements. « C'est bien, mais nous avons surtout besoin d'argent, pour pouvoir aller nous laver ou aller aux toilettes », se plaint Noura Khaled, une quinquagénaire originaire de Homs, elle aussi.

D'autres tentes ont été plantées un peu plus loin, le long d'un embranchement où s'arrêtent les autobus. Les enfants traînent dans la rue, entre les autos. « C'est dangereux, la nuit, on ne les voit pas », déplore un chauffeur.

PHOTO JULIEN DANIEL, COLLABORATION SPÉCIALE

Le campement de la porte de Saint-Ouen, c'est le visage le plus dramatique de la misère qui attend certains demandeurs d'asile qui risquent maintenant de se faire doubler par les nouveaux venus.

Le campement de la Porte de Saint-Ouen, c'est le visage le plus dramatique de la misère qui attend certains demandeurs d'asile qui risquent maintenant de se faire doubler par les nouveaux venus - les 24 000 Syriens, Irakiens et Érythréens que la France compte accueillir d'ici deux ans.

Avec la pénurie des places d'hébergement, leurs campements se multiplient dans la capitale. Des dizaines de tentes occupent chaque centimètre carré d'espace devant la mairie du 18e arrondissement, à Paris. Ici, on rencontre surtout des Soudanais et des Somaliens. Parmi eux, il y a Daoud, arrivé du Soudan il y a un peu plus d'un mois. Il n'a nulle part où dormir, ne sait pas trop comment s'y prendre pour sa demande d'asile. « Quand je vois les Syriens arriver d'Italie et d'Allemagne, je ne comprends pas, pourquoi eux sont aussi bien traités, et pas nous ? »

Mais comment la France fera-t-elle pour accueillir les 24 000 nouveaux demandeurs d'asile quand elle ne parvient pas à loger ceux qui sont déjà là ? Pour Pierre Henri, président de l'ONG France terre d'asile, la réponse est claire : « Nous avons toute la capacité pour recevoir dignement les gens, ce n'est qu'une question d'argent. »

Ils ont dit

La France doit-elle accueillir davantage de réfugiés? Le débat fait rage, alors que le président François Hollande s'est engagé à recevoir 24 000 nouveaux demandeurs d'asile d'ici deux ans. Voici des voix pour, contre et... entre les deux.

> François Hollande, président de la France Parti socialiste

«C'est le devoir de la France [d'accueillir des réfugiés]. Le droit d'asile fait partie de son histoire, de sa chair. Une histoire marquée par des générations d'exilés, de réfugiés, venus faire France avec nous.»

> Nicolas Sarkozy, ex-président et chef fondateur du parti Les Républicains

«Les Syriens sont des réfugiés de guerre, on ne peut pas les abandonner, pour peu qu'on rappelle qu'une fois la guerre terminée, ils auront vocation à rentrer en Syrie.»

> Marine Le Pen, présidente du Front national

«L'invasion migratoire que nous subissons n'aura rien à envier à celle du IVe siècle et aura peut-être les mêmes conséquences. Nous ne voulons plus accueillir d'immigration supplémentaire. Il faut arrêter immédiatement cette folie qui va déstabiliser et ébranler notre pacte social, notre liberté et notre identité. Les migrants qui arrivent en Île-de-France vont chercher en Île-de-France des emplois que vous n'avez pas, les prestations sociales que vous n'avez plus, les logements que vous recherchez désespérément.»

> François Baroin, maire de Troyes et président de l'Association maires de France

«Je n'accueillerai pas de réfugiés à Troyes pour la simple et bonne raison que je suis en surcapacité à l'échelle régionale des centres d'accueil des demandeurs d'asile, qui sont aujourd'hui suroccupés depuis des mois et des mois. On ne peut pas avoir des Calais partout en France.»