Entre jets de pierre et gaz lacrymogènes, des dizaines de migrants bloqués en Serbie ont forcé mercredi un barrage à la frontière avec la Hongrie après des heurts avec la police, premier incident de ce type depuis la fermeture de cette frontière par Budapest.

Et près de 1300 autres migrants sont entrés en Croatie dans la journée, depuis la Serbie, ouvrant une nouvelle route vers les pays riches d'Europe occidentale.

Les forces antiémeutes hongroises ont été débordées en début de soirée par des migrants qui ont réussi à arracher le grillage censé les arrêter près du passage frontalier de Röszke.

Les forces de l'ordre, qui ont utilisé des canons à eau et grenades lacrymogènes, ont reculé d'une cinquantaine de mètres face aux migrants qui leur lançaient des pierres, selon des journalistes de l'AFP.

«Yalla» (Allons-y !), criaient de jeunes migrants lançant des morceaux d'asphalte vers les policiers, avant de s'avancer en territoire hongrois puis de reculer les yeux rougis par les gaz.

«Je te déteste, Hongrie! Merci, Serbie» scandaient Hassan, un Irakien, partant, un pavé à la main, à l'assaut des forces hongroises.

Situation «sous contrôle» 

Le calme est revenu dans la soirée, et la police hongroise a assuré avoir «la situation sous contrôle». Selon un bilan révisé à la baisse par la police, 14 membres des forces de l'ordre ont été blessés, contre 20 annoncés auparavant.

De source serbe on a évoqué plusieurs migrants blessés sans autres détails.

Selon Amnesty International (AI), lors de ces incidents violents, au moins neuf personnes, dont quatre enfants, ont été séparées de leurs familles par la police. AI réclame que ces personnes soient immédiatement relachées afin qu'elles puissent retrouver les leurs.

Ces affrontements sont les premiers depuis que Budapest a verrouillé dans la nuit de lundi à mardi sa frontière avec la Serbie.

Depuis New York, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a jugé «inacceptable» le traitement des migrants par la police hongroise.

Principal pays de transit en Europe centrale avec plus de 200 000 passages depuis janvier, la Hongrie s'est barricadée derrière des barbelés, poussant les migrants à chercher d'autres voies d'entrée dans l'UE, notamment par la Croatie.

«Business des passeurs» 

Et le Premier ministre hongrois Viktor Orban a annoncé dans un entretien publié par le quotidien français Le Figaro, à paraître jeudi, qu'il envisageait aussi de faire construite une barrière à la frontière avec la Croatie. Il a invoqué la nécessité de mettre ainsi fin au «business des passeurs».

Les mesures hongroises ont été radicales: selon la police, seulement 367 migrants ont pénétré illégalement en Hongrie mardi. Ils ont tous été arrêtés et encourent jusqu'à cinq ans de prison.

Selon le ministère croate de l'Intérieur près de 1300 migrants sont arrivés en Croatie mercredi, alors que Zagreb en attend quelque 4000 dans les prochains jours.

Le Premier ministre croate Zoran Milanovic a assuré que son pays était prêt à diriger les migrants «vers les destinations où ils souhaitent se rendre, l'Allemagne et la Scandinavie».

«Nous sommes prêts à accorder le droit d'asile à quelques milliers de migrants(...) mais nous ne sommes pas prêts pour des dizaines de milliers», a averti la chef de la diplomatie croate Vesna Pusic mercredi soir à la télévision nationale HRT.

Parmi les migrants arrivés à Tovarnik (est de la Croatie) Waqar, un Pakistanais de 26 ans, explique  l'AFP : «La Hongrie a fermé sa frontière, c'est pourquoi nous sommes venus en Croatie, pas le choix».

Le ministre croate de l'Intérieur Ranko Ostojic a indiqué avoir rencontré à Belgrade son homologue serbe Nebojsa Stefanovic. Les polices des deux pays ont décidé d'utiliser plusieurs points frontaliers pour le passage des migrants, a-t-il dit.

Paris prêt à des contrôles temporaires 

Au même moment, en Turquie, des centaines de Syriens cherchaient une porte d'entrée terrestre vers la Grèce, pour rejoindre l'intarissable flux de migrants dont 500 000 sont déjà arrivés dans l'Union européenne cette année, après de longs et périlleux voyages sur les routes ou dans des embarcations de fortune.

La Roumanie a de son côté convoqué l'ambassadeur hongrois à Bucarest pour exprimer sa «préoccupation» après la décision de la Hongrie d'ériger une clôture anti-migrants à la frontière entre les deux pays.

Depuis la Turquie aussi, les réfugiés, essentiellement syriens, ont décidé de chercher une autres voie que la mer - très meurtrière - pour rejoindre l'Europe.

Certains ont entrepris, avec leurs enfants, une marche de 250 km d'Istanbul jusqu'à Erdine (nord-ouest), porte d'entrée terrestre vers la Grèce.

La détermination des migrants a mis l'Europe à l'épreuve et Berlin semble à bout de patience face aux divergences au sein de l'UE.

Mardi, Angela Merkel et son homologue autrichien Werner Faymann ont demandé la tenue rapide d'un sommet européen pour s'entendre sur une répartition contraignante de 120 000 réfugiés.

La principale difficulté sera de convaincre les pays d'Europe de l'Est opposés à l'accueil massif de réfugiés.

Mercredi, l'Allemagne a renforcé ses contrôles à la frontière avec la France, dans le Bade-Wurtemberg.

La France a indiqué de son côté qu'elle «n'hésitera pas» à rétablir des contrôles temporaires aux frontières «si nécessaire».

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Des policiers hongrois utilisent des gaz lacrymogènes pour repousser des migrants près de la ville d'Horgos, à la frontière serbe, le 16 septembre.

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Ban Ki-moon «scandalisé»

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a jugé mercredi «inacceptable» le traitement des migrants par les forces de l'ordre hongroises.

«J'ai été scandalisé de voir comment ces réfugiés et ces migrants sont traités, c'est inacceptable», a-t-il déclaré au cours d'une conférence de presse.

Il répondait à une question sur les échauffourées.

M. Ban a rappelé qu'il avait contacté ces derniers jours plusieurs dirigeants européens, dont le premier ministre hongrois Viktor Orban, partisan d'une ligne dure envers les migrants, afin de souligner «la nécessité de traiter ce problème en respectant les conventions internationales sur les réfugiés et les lois humanitaires». M. Orban «m'a dit qu'il ferait de son mieux», a-t-il indiqué.

Il a une nouvelle fois affirmé que «les personnes qui fuient la guerre et les persécutions (...) doivent être traitées avec compassion» et qu'il faut leur fournir «aide et abri», même si «tous les pays ont des problèmes internes» face à cette crise. «Ils doivent être traités avec dignité humaine, c'est le message que je répète aux dirigeants en Europe et en Asie, d'où que viennent ces migrants».

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M. Ban avait auparavant rendu hommage aux pays voisins de la Syrie (Jordanie, Liban, Turquie) qui accueillent des centaines de milliers de Syriens fuyant la guerre.

Il avait aussi «salué les dirigeants et les citoyens de plusieurs autres pays, dont l'Allemagne, la Suède et l'Autriche, qui ont ouvert leurs portes et fait preuve de solidarité». «Je suis aussi reconnaissant pour la générosité financière de nombreux pays (...) en particulier le Royaume-Uni et le Koweït», a-t-il ajouté.

Il a rappelé qu'il avait convoqué le 30 septembre à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, «une réunion à haut niveau pour organiser une réponse à la crise des réfugiés qui soit efficace, compatissante et fondée sur les droits de l'homme».

«J'exhorte tous les États à assumer leurs responsabilités et à respecter leurs obligations légales», a-t-il ajouté.

«Les gens qui font face à la brutalité dans leur pays vont continuer à chercher refuge dans un autre, ceux qui ont peu de perspectives chez eux vont continuer à chercher mieux ailleurs», a-t-il expliqué. «C'est naturel, c'est ce que chacun d'entre nous ferait, pour lui-même et pour ses enfants».

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