L'Allemagne s'attend à recevoir 800 000 réfugiés d'ici la fin de l'année. Un afflux massif que pas moins de 60% des Allemands voient d'un bon oeil. Un véritable élan de solidarité traverse le pays, a constaté notre envoyée spéciale. Les Allemands viennent massivement en aide aux nouveaux venus. Et c'est tant mieux, car l'État est littéralement débordé.

Des montagnes de vêtements, des chaussures, des jouets, des poussettes, du dentifrice: les responsables de Moabit Hilft, une organisation berlinoise d'aide aux réfugiés, croulent littéralement sous les dons.

«Nous avons plus de 7000 objets à distribuer, et les gens n'arrêtent pas de donner. On voudrait les diriger vers d'autres ONG, mais elles non plus n'ont plus de place.»

Le porte-parole de Moabit Hilft, Lazslo Hubert, dirige les opérations humanitaires sur l'un des principaux points de rencontre des réfugiés à Berlin. Sa tente est dressée à quelques pas du bureau régional du ministère de la Santé et des Affaires sociales où les demandeurs d'asile attendent d'être officiellement enregistrés, pour accéder à l'aide de l'État.

Avec l'afflux massif des dernières vagues de réfugiés, le parc devant l'immeuble s'est transformé en un campement chaotique où des Syriens, des Irakiens, mais aussi des Moldaves ou des Serbes, scrutent un écran électronique dans l'espoir de voir enfin apparaître leur numéro. Épuisées par leur voyage, des familles campent sur des couvertures en attendant d'enregistrer leur demande d'asile.

Lazslo Hubert coordonne l'aide aux centaines de gens dont certains passent la nuit devant l'immeuble administratif. Il vit dans un tourbillon incessant. Pendant notre entrevue, une femme s'est présentée pour offrir des tables, une autre avait des billets de métro, de la nourriture pour bébés et des serviettes hygiéniques, fruit d'une collecte organisée avec ses collègues de bureau. «Nous avons essayé d'imaginer quels pouvaient être les besoins des femmes après un si long voyage», a-t-elle expliqué.

Il n'y a pas si longtemps, Moabit Hilft était une organisation modeste qui venait en aide aux demandeurs d'asile dans le quartier de Moabit, au centre de la capitale. Il y a cinq semaines, les besoins ont explosé. Aujourd'hui, sa page Facebook compte 11 000 adhérents. Tous prêts à donner un coup de main.

Une histoire de colocs

Mais le principal défi des réfugiés, ça reste de trouver un logement à l'extérieur d'un centre d'hébergement collectif. C'est le besoin auquel ont voulu répondre deux colocs berlinois après s'être retrouvés avec une chambre libre dans leur appartement. Jonas Kakoschke et Mareike Geiling ont eu l'idée d'accueillir un étranger vivant dans un foyer pour réfugiés et de faire financer sa part de loyer par leurs proches.

Une amie les a mis en contact avec un Malien, Bakary Conan. À l'époque, il vivait dans la rue. Le courant de sympathie a passé dès la première rencontre. Quant à la recherche de financement, la réponse a été phénoménale. «En deux semaines, nous avions de quoi payer la part de loyer de Bakary pour un an», s'étonne encore Jonas Kakoschke, un graphiste de 32 ans.

«Ç'a été tellement facile qu'on s'est demandé pourquoi nous avons été les seuls à y penser.»

Neuf mois plus tard, Mareike et Jonas ne sont plus les seuls, loin de là. Leur initiative personnelle s'est transformée en une organisation structurée, qui compte cinq employés - dont les deux fondateurs -, et une soixantaine de bénévoles. Et qui a réussi à récolter 200 000$ en dons privés pour assurer son fonctionnement.

Leur réseau s'appelle Flüchtlinge Willkommen (Bienvenue aux réfugiés) et a été décrit dans les médias du monde entier comme un Airbnb pour chercheurs d'asile.

Le site web de Flüchtlinge Wilkommen fonctionne un peu comme un site de rencontre. D'un côté, des gens prêts à accueillir un réfugié. De l'autre, des étrangers à la recherche d'un endroit où loger. La première liste compte déjà 3000 noms, répartis dans toute l'Allemagne. La deuxième, un peu plus de 2000 noms. Le réseau a déjà permis de réaliser 86 «mariages locatifs.» Environ la moitié des chambres sont offertes gratuitement. D'autres comprennent un loyer, assumé par le gouvernement qui verse des allocations de logements aux réfugiés, et par les parents et amis des colocs allemands.

Tout le monde y gagne, les réfugiés qui peuvent mieux s'intégrer à la société, et leurs hôtes, qui découvrent un pays qu'ils ne connaissaient pas, plaident Mareike et Jonas.

Courant de sympathie

Des initiatives comme celles-là, il y en a dans toutes les villes, dans tous les quartiers, et de tous les genres. Ce sont des initiatives spontanées, une réponse concrète à des besoins qui ne cessent d'augmenter.

Comment expliquer cet élan de générosité?

«Nous avons appris de l'expérience des années 90», suggère Robert Lüdecke, porte-parole de l'institut Amadeu Antoni Stiftung, un centre de recherche sur le racisme. À l'époque, l'Allemagne accueillait surtout des réfugiés de l'ex-Yougoslavie déchirée par la guerre civile. Et une majorité claire de l'opinion publique n'en voulait pas.

Tout un contraste avec aujourd'hui, alors que sondage après sondage, 60% des Allemands se disent prêts à accueillir massivement les réfugiés.

Spécialiste des questions migratoires à L'Institut fédéral de la recherche sur la population, Andreas Ette identifie plusieurs raisons expliquant ce courant de sympathie. La situation économique de l'Allemagne. Sa démographie déclinante et les pénuries de main-d'oeuvre qui en découlent. Les images émouvantes de réfugiés qui fuient une terrible guerre. Et le discours apaisant du gouvernement, qui ne parle pas de «crise de réfugiés», et assure que cet afflux humain est parfaitement gérable.

«Les Allemands voient leur pays comme une île de prospérité en Europe, les gens n'ont pas peur que des étrangers viennent leur voler leur emploi», renchérit Rene Pfister, journaliste au magazine Spiegel. Il note aussi que l'Allemagne a été très critiquée pour son rôle durant la crise de l'euro. Et qu'elle redore son image en tendant la main aux réfugiés.

Mais cette générosité collective va-t-elle durer? «Aujourd'hui, c'est la société civile qui fait l'essentiel du travail pour aider les réfugiés, dans un an, les gens risquent d'être épuisés», met en garde Robert Lüdecke.

L'analyste Andreas Ette signale que cette explosion de générosité est encore toute jeune. Et que rien ne garantit sa pérennité.



PHOTO CHRISTOF STACHE, ARCHIVES AFP

Vêtements, jouets, poussettes, les Allemands se sont mobilisés pour offrir toutes sortes de biens aux réfugiés.

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